Bernard Salvat : « le mauvais état des récifs coralliens est dû aux hommes, les effets du changement climatique sont encore devant nous »

Un chercheur examine le phénomène de blanchissement des coraux dans les fonds marins de Tahiti
Philippe Gomès, député de la Nouvelle-Calédonie a organisé hier en pleine COP21 un colloque sur les récifs coralliens à l’Assemblée nationale.  Des spécialistes sont venus livrer leurs diagnostics, pas très rassurants…
Philippe Gomès député de la Nouvelle-Calédonie a réussi un tour de force : réunir en pleine COP21 des experts des récifs coralliens ainsi que des politiques de premier plan, Claude Bartolone et Jean-Louis Borloo. Ce colloque sur les coraux à l’Assemblée nationale s’est tenu dans le cadre des 15 ans de l’IFRECOR (Initiative française pour les récifs coralliens).
 
Philippe Gomès, député de la Nouvelle-Calédonie

Claude Bartolone visiblement intéressé par l’Outre-mer a rappelé que "Jean-Baptiste de Lamarck est le premier scientifique à avoir établi une classification des coraux. C’est d’ailleurs lui qui a fait du jardin du roi le Muséum national d’histoire naturelle", a précisé le candidat à la région Ile de France et président de l’Assemblée nationale. Jean-Louis Borloo qui n’était pas attendu à ce colloque a dénoncé "le florilège des grandes déclarations de la COP21 déclamées par les chefs d’Etat. Il faut absolument une coalition pour apporter de la lumière à tous en Afrique ! ". Les récifs coralliens étaient un peu loin…
 
Jean-Louis Borloo, ex-ministre de l'Environnement

Auparavant, Sue Wells avait livré un diagnostic très complet sur l’état des coraux. Cette Anglaise fait partie de ces scientifiques qui se sont intéressés très tôt à cette question. "Ses trois livres publiés en 1988 qui recensent les récifs coralliens à travers le monde font encore autorité", précise Bernard  Salvat, le grand spécialiste des récifs coralliens en France.
 
Sue Wells, de la société international d'étude des récifs

Philippe Gomès, le député organisateur de ce colloque s’inquiète pour la pérennité des récifs coralliens. "Les récifs représentent 280 000 km2 sur la planète, c’est très peu. La France dispose de 10% des récifs coralliens au monde, dont les trois quarts se trouvent au large de la Nouvelle-Calédonie". Interrogé par La1ère sur les impacts des trois usines de production de nickel, le député précise qu’ "en raison de cette activité industrielle, les récifs coralliens de la Nouvelle-Calédonie ne sont pas entièrement classés. Sur les 23 000 km2 de récifs que compte le caillou, 15 000 km2 sont inscrits au patrimoine de l’humanité".
 
La barrière de corail de la Nouvelle-Calédonie

"En Nouvelle-Calédonie, nous avons la deuxième barrière récifale au monde, ajoute Philippe Gomès. Si l’on ne parvient pas à se mettre d’accord sur une hausse de 2° Celcius d’ici à la fin du siècle, ce sera un crime contre l’humanité. Mais ce crime est déjà commis dans des Etats insulaires qui sont en train de disparaître. Or quelle est la responsabilité de l’Océanie dans le changement climatique ?"

Route principale de Tarawa, île capitale des Kiribati
 
Jean-Pierre Gattuso, le spécialiste de l’acidification des océans en France montre à l’assemblée une photo qui fait froid dans le dos. On y voit en rouge les gaz à effet de serre. Le constat est clair : les pays du nord polluent tandis que les pays du sud subissent. "Chaque jour, 26 millions de tonnes de dioxyde de carbone vont dans les océans. L’océan absorbe plus d’un quart de nos émissions de gaz à effet de serre".  Mais à force d’ingérer notre CO2, l’océan est au bord de l’overdose. "Les impacts sont réels, précise Jean-Pierre Gattuso, la température de l’océan augmente, ce qui provoque le blanchissement des coraux,  à cela s’ajoute la composition chimique des mers qui se modifie, c’est ce que l’on appelle l’acidification des océans".
 
Rejets de CO2 : l'Afrique, l'Océanie et l'Amérique latine rejettent beaucoup mois de CO2 que les pays du Nord

"En une année, au Japon, les scientifiques ont observé des déplacements de coraux de 14 km par an, en raison du réchauffement des eaux", précise Jean-Pierre Gattuso. Et selon l’IDDRI, "les ptéropodes des hautes latitudes (escargots dont se nourrissent saumons et autres poissons) et le krill, les bivalves des moyennes latitudes (moules et huîtres)" subissent déjà les impacts du changement climatique.
 
Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche au CNRS

Pour Jean-Pierre Gattuso, "les négociations à la COP21 vont dans le bon sens. Nous sommes autour d’une limitation à 3 degrés de réchauffement d’ici à la fin du siècle, il faut atteindre les  2° Celcius, souligne le scientifique, car même avec ce scénario optimiste de 2° Celcius, il reste encore des menaces sur la survie des coraux".
 
Sue Wells, la présidente de la société d’étude des récifs coralliens ajoute : "Dans la Caraïbe, 30 % des récifs sont dégradés, malgré tout, ils ont toujours une possibilité de récupération". La scientifique cite des cas de bonne gestion des récifs à Bonaire dans la Caraïbe, à Palau dans le Pacifique et en Tanzanie, dans l’océan indien.  "La restauration par bouturage ne fonctionne pas très bien, ajoute Sue Wells, il faut faire très attention à ce type de pratique".

Bouturage de coraux en laboratoire
 
Bernard Salvat, le grand spécialiste des coraux n’est guère optimiste, mais il se refuse à tout mettre sur le dos du réchauffement climatique. "La dégradation des récifs coralliens est principalement due aux hommes, à la démographie galopante et au tourisme de masse, comme on a pu l’observer dès les années 70 en Asie du Sud-Est. Les conséquences à venir du changement climatique sont encore devant nous". Le professeur précise qu’on ne sait pas encore si ce nouvel El Nino fort, en court actuellement, s’inscrit dans le contexte du changement climatique. En 1998, El Nino avait provoqué une période de blanchissement massif des coraux à La Réunion, à Mayotte et en Polynésie.

Paquebot à Fort-de-France
 
Au niveau international, l’ICRI (International coral reef initiative) qui compte dans ses rangs l’Ifrecor veille à la bonne santé des récifs. "Cette organisation a été créée en 1992, précise Bernard Salvat, sous l’impulsion d’Al Gore, ex-vice-Président américain, qui était passionné des récifs. Il rassemble une centaine de pays et le secrétariat tourne tous les deux ans. La France a dirigé par deux fois l’ICRI en 1999 et en 2010". Elle s’apprête à en reprendre le secrétariat en 2016, après le Japon.