Crise du nickel : A Sandouville, les métallos d'Eramet entre nostalgie calédonienne et espoir finlandais

Cathodes de nickel pur de l'usine Eramet de Sandouville, en Normandie.
Ici, le nickel est roi. Le long de la Seine, entre Rouen et Le Havre, Eramet a une usine. Depuis trente ans, elle produit du métal pur et des poudres de nickel. Le concentré vient de Nouvelle-Calédonie, il devrait un jour venir de Finlande. Nous sommes allés voir cette raffinerie silencieuse.
Le ciel est gris teinté de jaune, pareil à un ciel de papier sale, semé de tâches de moisissure. Dans la grande zone industrielle de Sandouville-Le Havre, les fêtes de Noël approchent, mais les métallos de la raffinerie Eramet n'ont pas vraiment le sourire. Les 180 salariés de cette Normandie industrielle s’interrogent sur leur avenir. Une page de leur histoire commune avec "les Calédoniens", leurs collègues de Doniambo, est en train de se tourner. La crise du nickel est tranchante et froide comme la glace, le cours du métal a chuté de 46 % en un an. Les mattes de nickel qui alimentent Sandouville viennent de l’usine SLN à Nouméa. Elles devraient cesser d’arriver au Havre, au plus tard en 2017. Ces concentrés de nickel sont transformés à Sandouville en France métropolitaine. Depuis trente ans, ils permettent d’obtenir du métal pur, mais aussi des poudres de nickel pour les secteurs de pointe comme l’aéronautique, le nucléaire ou encore l’informatique et la pétrochimie.

Sécurité draconienne 

Eramet Sandouville est une usine hydro-métallurgique sans fours ni fusion à chaud. On y extrait le nickel pur par affinage chimique des mattes calédoniennes. Un procédé complexe et sensible. « Cette usine a été conçue pour les concentrés calédoniens. Le procédé de lixiviation à l’acide est rigide et doit être adapté si l'on change de fournisseur » précise un responsable de l’usine. À Sandouville, les mesures de sécurité sont draconiennes. Dans les tuyaux d’acier, dans les ateliers circulent de l’acide chlorhydrique et de la soude. Les risques du quotidien se ressentent sur les hommes au travail. Ils parlent peu et ne semblent guère apprécier la présence de visiteurs. Tous ont à l’esprit la rupture en train de s’opérer avec la SLN, leur fournisseur calédonien. 

Avenir incertain 

Tout allait bien jusqu’à l’effondrement des cours du nickel qui a tout bouleversé. Et relancé cette peur du chômage et de l’avenir forcément incertain. Alors, faute de mieux, les mattes viendront sans doute un jour de Finlande, beaucoup plus proche. Et si chacun y trouve son compte, en Normandie comme en Nouvelle-Calédonie tant mieux, l’essentiel ici comme à Nouméa est de garder son emploi. Finie, la solidarité ouvrière, oubliées les embauches car aujourd'hui les mines et les usines de nickel ferment dans le monde entier. Il reste juste le chacun pour soi : « A Nouméa, ils reprochent parfois notre existence à Eramet, mais nous aussi, on a des familles et des emprunts à rembourser, il ne faudrait pas l’oublier sous le soleil » lâche un salarié pressé de continuer son chemin.
 

Nouméa aujourd'hui, Harjavalta demain

A Sandouville, chacun a vu venir la crise, 16.000 tonnes de mattes de nickel sont arrivées de Nouméa en 2014, il y en aura moitié moins cette année. « Pas besoin d’être bon en calcul pour comprendre la réalité », souligne un technicien qui s’éloigne vers un atelier. La crise du nickel est si forte que la seule chose qui importe, « c’est sauver son job, à Nouméa comme ici » confie un autre métallurgiste croisé sous l’entrelac de tuyaux qui traverse l’usine balayée par les vents. Eramet doit cesser d’alimenter son usine normande à partir des concentrés de nickel calédoniens. Il s’agit d’améliorer l’équilibre financier de la SLN à Nouméa tout en préservant la raffinerie de Sandouville, par l’achat de mattes produites par le norvégien Boliden à Harjavalta en Finlande. Pour le groupe français Eramet, c’est aussi une question de survie. En attendant, ce sont toujours les concentrés de nickel calédonien qui sont stockés dans l’entrepôt des mattes. 

Richesse calédonienne

Le silence est pesant, dans l’air flottent des poussières de nickel. Sous une lumière jaune et blafarde est entreposée un peu de cette richesse calédonienne, des briques de couleur brun foncé parmi les plus riches au monde. Dans un autre entrepôt, des cathodes, autrement dit des plaques de métal pur sont alignées à côté de gros bidons verts « Eramet Nickel of France ». À l’intérieur, des centaines de petits carrés d’une couleur gris acier. Ce « métal du Diable » est d’une teneur en nickel de 99,995%, une contenance supérieure à tous les autres produits concurrents, ceux de Glencore, Vale ou Norilsk. Au tout début de la chaîne de production, ce métal se trouvait dans la terre de Thio, Kouaoua, Népoui, Kopéto, Tiébaghi et Poum, des mines de nickel en Nouvelle-Calédonie. Du minerai transformé et concentré ensuite par les métallurgistes de la SLN à Doniambo. 
 

"Métal de la crise"

L’activité tourne, mais au ralenti, en attendant une éventuelle reprise des cours du nickel. À Sandouville, cette richesse calédonienne est devenue le « métal de la crise », celui dont le prix s'est effondré à la Bourse des métaux de Londres. « Cette usine était faite pour le nickel calédonien, mais c’est fini alors mieux vaut la Finlande que plus rien ». La jeune femme poursuit son chemin, le ciel est sombre, il recommence à pleuvoir sur le grand bassin d’activités. Et l’on se dit en quittant l’usine silencieuse qu’un lien industriel et humain de trente ans, un lien qui reliait Nouméa au Havre et à Sandouville est aujourd'hui menacé par la crise.