"2015, une année horrible pour le nickel" déclare le spécialiste des matières premières Philippe Chalmin

Métallurgiste du nickel dans l'usine Larco en Grèce.
Pour cet expert des matières premières, 2015 restera comme « L’annus horribilis » du nickel. Philippe Chalmin pense cependant que « les cours vont stagner et peut-être ensuite se reprendre, mais pas avant le nécessaire rééquilibrage du marché ». 
Philippe Chalmin est professeur d’histoire économique à l'université de Paris-Dauphine. Concepteur du rapport Cyclope, spécialiste des matières premières, il nous livre ses réflexions sur l’année qui se termine et la situation des cours du nickel.
 
Pour le nickel, comment résumeriez-vous l'année 2015 ?
Philippe Chalmin : 2015 restera comme « L’annus horribilis ». Les cours du nickel sont descendus à des niveaux que personne n’imaginait, surproduction globale, faible demande de la Chine, hausse des stocks, c’est l’une des pires années qu’ait connu le secteur depuis trente ans. C’est une crise mondiale qui frappe les usines et les producteurs, 70 % de la production n’est pas rentable. Le tableau est sombre et l’avenir plus qu’incertain notamment en ce qui concerne la production mondiale d’acier inoxydable au nickel, moteur de la demande.
 
Les sociétés minières et métallurgiques durcissent leur cure d'austérité, ont-elles pris la bonne décision ?
Oui et non. Elles n’ont pas toutes pris les mêmes décisions et en particulier il n’y a pas eu de baisse sensible de la production chinoise de nickel. Il n’y a pas eu non plus de messages forts de la part des Russes de Norilsk. Les seuls qui ont agi, ce sont les Australiens et les Calédoniens, ils ont baissé leur production, mais les autres ne l’ont pas fait et ils pèsent beaucoup plus lourd.
 
Les entreprises du secteur se sont lourdement endettées et ont investi des milliards de dollars pour produire plus de nickel, c’était une erreur ?
Il faut tenir compte du fait que le temps de la mine et de la métallurgie est un temps long. Il faut entre deux et dix ans pour faire aboutir un projet, construire une usine et plus de temps encore avant de livrer du nickel sur le marché. Prévoir les cours du métal sur une période aussi longue est donc impossible. Ont-elles surestimé ce que serait la demande ? C’est possible, mais surtout les sociétés minières n’ont pas intégré la révolution de la fonte chinoise de nickel, ce produit bon marché est devenu très concurrentiel et incontournable.
 
Les sociétés multinationales canado-brésilienne Vale et anglo-suisse Glencore vont-elles continuer à produire du nickel en Nouvelle-Calédonie ?
Le nickel produit en Nouvelle-Calédonie ne représente qu’une toute petite partie de l’activité de groupes mondiaux comme Vale et Glencore. Les deux multinationales sont dans une situation calamiteuse. Effondrement du prix du minerai de fer pour Vale, chute vertigineuse de son cours boursier pour Glencore. Assez logiquement, leur management coupe les branches mortes et les branches secondaires. La Nouvelle-Calédonie est une branche secondaire et je ne serai pas surpris qu’ils prennent la décision de couper et de partir. Il y a quatre ou cinq ans, ils avaient les poches pleines, les Calédoniens avaient attiré deux des plus puissants joueurs de l’industrie minière et tout allait bien. Manque de chance en 2015, Vale et Glencore sont les deux géants du secteur les plus touchés par la crise. Glencore se débarrassera du nickel calédonien tout aussi sûrement qu’il l’a fait pour le cuivre en Zambie. Sans état d’âme.
 
Vous n’êtes pas un chaud partisan de la « doctrine nickel » calédonienne qui prévoit la nationalisation provinciale de la SLN, filiale du groupe français Eramet. La crise actuelle ne vous a pas fait changer d’avis ?
Prenons l’exemple des vagues de nationalisation politique du secteur pétrolier au Mexique, en Bolivie ou le 50/50 au Venezuela en 1938. Elles n’ont rien changé à la réalité du marché, surtout quand il est en crise et qu’il faut régler les factures. Je suis sceptique sur cette idée de « calédonisation » et je le reste. L’intérêt de la Nouvelle-Calédonie, c’est de toucher des dividendes, des taxes, des impôts sur le nickel. Toute forme de nationalisation comporte un danger et notamment s’il s’agit de s’appuyer uniquement sur une matière première. Si un jour la Nouvelle-Calédonie se développe, elle se développera malgré le nickel.
 
En 2016 : baisse, stagnation ou reprise des cours du nickel ?
Les prix du nickel sont si bas qu’on ne devrait pas descendre plus bas, car au cours actuel même les Chinois et les Coréens ne gagnent plus d’argent. J’aurais tendance à penser que les cours vont stagner et peut-être ensuite se reprendre, mais pas avant le nécessaire rééquilibrage du marché.