L’Institut de Recherche pour le Développement est-il coupable de biopiraterie ? Pour France Libertés, ses chercheurs ont déposé un brevet sur une molécule se trouvant dans un arbuste utilisé depuis des siècles par les peuples de Guyane sans les avoir associés. Les élus réagissent. Décryptage
La biopiraterie, c’est l’appropriation illégitime des ressources de la biodiversité (plantes, animaux) et des connaissances traditionnelles qui peuvent y être associées. L’association France Libertés qui traque depuis dix ans les cas de biopiraterie précise "certaines entreprises profitent du flou juridique pour s’approprier les connaissances des peuples autochtones sur la biodiversité à travers le dépôt de brevet". Les premiers cas de biopiraterie célèbres ont été révélés en Inde avec le Neem (arbre du sud de l’Himalaya) ou le Sacha Inchi (amande de montagne) au Pérou.
#2 Recherches en Guyane
En 2006, des chercheurs de l’IRD, du Muséum national d’histoire naturelle et de l’Université Paul Sabatier de Toulouse ont réussi à isoler l’un des principes actifs antipaludiques de la tisane de Quassia. Les feuilles de Quassia armara, cet arbuste à fruits rouges, commun en Guyane sont bien connus par les populations locales pour se soigner contre le paludisme. Cet arbuste est plus connu en Guyane sous le nom de Quinquina de Cayenne.
#3 Le dépôt d’un brevet en 2009
Les chercheurs de l’IRD ont réussi à isoler la molécule active contre le paludisme : la Simalikalactone E (SkE) à partir des feuilles de Quassia armara. Afin de mieux protéger ces résultats, un premier brevet a été déposé en 2009 en copropriété avec l’université Paul Sabatier de Toulouse. Cette molécule pourrait avoir également un intérêt dans le traitement de plusieurs types de cancers, selon une publication de l’IRD. En 2013, les chercheurs obtiennent le1er prix Innovation-Sud pour avoir isolé la SkE.
#4 France Libertés attaque
Le 25 janvier 2016, l’association France Libertés fondée par Danielle Mitterrand met les pieds dans le plat. Pour cette association qui depuis 10 ans traque les affaires de biopiraterie, l’IRD s’est rendue coupable de "s’approprier des savoirs guyanais ancestraux". "Cette pratique est à la fois immorale et contraire aux règles de la propriété intellectuelle", souligne France Libertés qui annonce le dépôt d’une opposition devant l’Office Européen des Brevets. Cette action est relayée par le site Mediapart dans un article.
#5 Les élus de Guyane réagissent
Dès le lendemain de la publication de l’article dans Mediapart, le président de la Région Guyane réagit. "L’utilisation abusive des connaissances traditionnelles des populations sans leur consentement préalable, ainsi que l’absence totale de retour pour le territoire ne peuvent plus être tolérées", écrit Rodolphe Alexandre. A leur tour, les parlementaires guyanais Chantal Berthelot et Antoine Karam invitent dans un courrier l’IRD "à renoncer au dépôt du brevet" et préconisent "une démarche respectueuse de l’esprit de la loi relative à la protection de la biodiversité, prochainement promulguée, et du dispositif d’accès et de partage des avantages (APA du Protocole de Nagoya) qu’elle introduit dans le Droit français".
#6 L’IRD fait son mea culpa
Après s’être insurgé dans Le Monde, déclarant "on nous fait un mauvais procès !", Jean-Paul Moatti, PDG de l’établissement reconnaît le problème dans un courrier adressé aux parlementaires de Guyane. "Si l’avancée des travaux qui ont conduit à ce dépôt de brevet a bien fait l’objet de nombreuses interventions scientifiques et publiques en Guyane, et d’échanges préalables avec les communautés locales, il apparaît effectivement que les plus hautes autorités locales guyanaises n’ont pas été informées officiellement du dépôt de ce brevet en 2009, ce que je regrette", écritJean-Paul Moatti. Le PDG de l’IRD ajoute qu'il va répondre au recours déposé par France Libertés devant l’Office européen des brevets.