Sa famille et son entraîneur nous ont donné rendez-vous dans un café de la capitale où l’on peut jouer aux échecs. Quoiqu’un peu intimidée par le fait d’être interviewée par des journalistes, elle est très souriante. Un sourire qui laisse place à la concentration une fois qu’elle s’assied devant l’échiquier, face à son entraîneur Vincent Riff.
Ancien sélectionneur de l’équipe de France jeunes, ce dernier s’occupe désormais de l’équipe de Suisse espoirs, en plus de diriger un club, Palamède échecs, dans le XVIe arrondissement de Paris. C’est là qu’il a rencontré Eline en 2018.
La jeune fille venait d’arriver avec sa famille de Martinique qui cherchait pour elle un club d’échecs où elle puisse s’épanouir. Car Eline est passionnée par ce jeu depuis qu’elle a 4 ans.
"Mon père et mon frère jouaient déjà beaucoup aux échecs, énormément. Et à force de les regarder, moi aussi j’ai voulu apprendre, se souvient-elle. Ce qui m’a attiré dès le début, c’est le fait de faire des stratégies. Petite, je passais du temps sur des puzzles et ce genre de choses. Et les échecs, ça m’a rappelé ça."
"Des professeurs incroyables" à Rivière-Salée
A l'époque, ses parents l’inscrivent au club d’échecs de Rivière-Salée en 2015 : elle a alors 5 ans. "Cela semble loin et près à la fois", souffle sa mère, Chantal Mencé-Nicolas. Elle nous décrit un club "petit par la taille mais grand par la passion, avec des professeurs vraiment incroyables dès le départ, au service des enfants et vraiment à leur écoute."
Un cadre où Eline s’épanouit puisque dès l’année suivante, elle devient vice-championne de Martinique dans sa catégorie (chez les moins de 6 ans). Le premier titre d’une (probable) longue série, puisqu’elle décroche notamment en 2018 et 2021 la deuxième place au championnat de France en "petite poussine" et "pupillette", et surtout le titre de championne de l’Union Européenne chez les filles en U12 (11 et 12 ans), le 30 août dernier en République tchèque.
Cette dernière victoire lui a "redonné confiance" et l’a remotivée, car elle était malgré tout frustrée et "un peu triste d'avoir été si près du titre" en championnat de France. "J’adore la compétition", reconnaît-elle en esquissant un sourire, sous l’œil bienveillant de son entraîneur.
"C'est un sphinx"
"Elle a eu un petit déboire au championnat de France (en 2020, NDLR) où elle jouait le titre jusqu’à quasiment la dernière ronde, et elle a perdu le dernier match, analyse Vincent Riff. Je crois que psychologiquement, ça lui a peut-être fait du bien parce qu’après elle a eu l’esprit revanchard et là, elle est sur un pic de progression assez important."
Elle peut pour cela s’appuyer sur deux grandes qualités : sa compréhension du jeu et de la stratégie d’une part, son visage impassable d’autre.
"C’est un sphinx, c’est quasiment impossible de savoir ce qu’elle pense, résume, admiratif, son entraîneur. La plupart des enfants dévoilent assez facilement leurs émotions. Or quand on joue avec elle, elle peut être assez perturbante pour les adversaires parce qu’on a l’impression qu’aucun coup ne la déstabilise, et pour jouer aux échecs c’est fantastique."
Veiller à l'équilibre
Si le souhait d’Eline est bien évidemment d’être enfin championne de France et de remporter des titres internationaux, ses parents font attention à son bien-être.
"On veille évidemment à un équilibre à la maison, que les parties ne s’éternisent pas trop, que les entraînements ne viennent pas de façon trop récurrente également, qu’elle puisse se reposer, liste sa mère. En même temps, l’essentiel est qu’elle prenne plaisir à ce qu’elle fait. Il y a ce côté à vouloir gagner et remporter des trophées, et il y a encore ce côté où elle s’amuse beaucoup."
Et de reconnaître que cela ne pose pas de problème, car Eline "est très mature" : "C’est vrai qu’elle gère très bien toute seule."
Le cavalier
Egalement passionnée de mangas, celle qui vient de rentrer en 3e (après avoir sauté deux classes en maternelle et primaire) n’imagine cependant pas mettre l’école au second plan.
"Il y aura le lycée, les études supérieures aussi, il faudra quand même que je me concentre sur ça, donc il y aura moins de temps pour les échecs forcément, reconnaît-elle. Donc j’essaye d’en faire le maximum le plus vite possible."
On imagine qu’elle aura des ressources pour aller très loin, à l’image de sa réponse quand on lui demande pour finir quelle est sa pièce préférée sur l’échiquier : "J’adore le cavalier car on peut faire beaucoup de pièges avec le cavalier, et j’aime bien ça."