A Dzaoudzi en Petite-Terre, en ce matin de décembre, une trentaine de personnes patientent à l'entrée du site de distribution de bouteilles, très prisées dans un territoire où la population n'a accès à l'eau courante qu'un jour sur trois.
Face à elles, une poignée de militaires annoncent le nombre de packs à distribuer au compte-gouttes, et font une chaîne pour acheminer les bouteilles du container jusqu'aux bénéficiaires.
" Ils sont vraiment mal organisés"
"Il n'y a pas tant de monde, mais j'ai attendu trois heures", souffle Zarine-Rose Mohamed, une habitante de Labattoir, venue avec ses trois filles. Un temps "impossible à prendre lorsqu'on travaille", relève la jeune femme, sans emploi.
Près d'elle, Rahamatou Attoumani s'est arrangée avec son employeur pour consacrer une partie de sa matinée à la récupération de packs d'eau. "Ils sont vraiment mal organisés", peste-t-elle. "Je suis déjà venue deux fois cette semaine et le container était vide. On nous a fait attendre de longues minutes pour finalement nous dire qu'il n'y avait plus de packs".
Le problème concerne également Mamoudzou, le chef-lieu de l'île principale, où la quantité d'eau acheminée est insuffisante dans certains quartiers. "A Kaweni, tout le monde est agglutiné. Il faut attendre des heures pour récupérer un pack et il n'y en a pas assez pour tout le monde", assure Marine, une habitante du quartier.
La distribution d'un litre par jour "à toute la population" a été mise en place le 20 novembre. Jusque-là, seules les 60.000 personnes les plus vulnérables pouvaient se procurer deux litres quotidiennement.
Le petit archipel français de l'océan Indien est confronté à sa pire sécheresse depuis 1997, aggravée par un manque d'infrastructures et d'investissements. La potabilité de l'eau courante y est régulièrement remise en cause. Le 5 décembre, la préfecture et l'agence régionale de santé ont alerté sur la présence de métaux lourds dans l'eau et interdit sa consommation pour la cuisine, la boisson et le lavage des dents.
"Ça me révolte"
Dans ce contexte, la Première ministre Elisabeth Borne était très attendue à Mayotte, où elle a effectué une visite éclair vendredi, se félicitant pour la distribution de "300.000 litres d'eau chaque jour à toute la population", estimée par l'Insee à 310.000 habitants.
Mais les bouteilles gratuites échappent à une partie des travailleurs, et à nombre de demandeurs d'asile ou personnes en situation irrégulière. La liste de documents à fournir auprès des mairies pour bénéficier de bouteilles gratuites est longue : "On m'a demandé un livret de famille, une facture d'électricité ou d'eau, une pièce d'identité...", énumère Amina Abdallah, une habitante de Chiconi, dans l'ouest de Grande-Terre.
Au point d'en exclure certains. À Mamoudzou, les pièces réunies par Chadrak, arrivé du Congo il y a quelques semaines, ne lui ont pas permis de récupérer des bouteilles. "Ils ne veulent pas nous en donner, ils disent qu'on n'a pas les papiers", souffle le jeune homme de 25 ans, qui a déposé une demande d'asile et dit devoir boire "l'eau de la rivière, qui pue" faute de mieux.
Sa voisine, qui dort dans un campement fait de cases en tôle à Cavani, a elle obtenu un statut de réfugiée, mais n'est pas mieux lotie. "Personne ne nous aide, on n'a pas le droit d'avoir de bouteilles", assure Diane Umultasaté, originaire du Rwanda, qui vit au milieu des déchets avec ses huit enfants.
Pendant ce temps, des packs d'eau récupérés gratuitement alimentent des doukas (petits commerces) de Kaweni, Doujani ou Tsoundzou, quartiers de Mamoudzou où ils sont revendus entre 4 et 8 euros, accuse un habitant. "Ça me révolte", confie Moa sur les réseaux sociaux.
Le préfet de l'eau, Gilles Cantal, se dit "conscient" de cette fraude. "Il faut qu'on identifie si le phénomène prend de l'ampleur, notamment du côté de Cavani. Pour l'instant, ça reste un épiphénomène", assure le gestionnaire de la crise de l'eau. Pour le reste, la distribution étendue à toute la population "se passe bien", estime-t-il.