▶️ À Mayotte, le shikowa permet aux femmes de réaliser leurs rêves [Femmes de Mayotte - Shikowas, les cagnottes de la liberté]

Elles sont mahoraises et ont toutes participé un jour à un shikowa pour mener à bien des projets tant personnels que professionnels. Cette forme de cagnote solidaire très efficace à Mayotte est aujourd'hui un des maillons de l’économie locale. Les shikowas se déclinent en grande majorité au féminin sur l’archipel.

Elles s’appellent Rahababi, Zaitouni, Naïcha et Zakia... Ces Mahoraises participent à un shikowa, une sorte de tontine. Cette épargne informelle leur permet de porter des projets familiaux ou professionnels dans des logiques de court ou moyen terme. Ces femmes mettent ainsi de côté quelques centaines ou quelques milliers d’euros chaque mois pour construire une maison, organiser le mariage de leurs filles ou encore développer un commerce.

Des initiatives qu’elles entendent réaliser en quelques mois, sans avoir à solliciter leur mari ou la banque. C’est la force de la sororité mahoraise, grâce à leur shikowa, les femmes de Mayotte s’ouvrent un espace de liberté, un monde des possibles, une vie plus enchantée, un quotidien plus rassurant, mais aussi une force collective. Le film s’attache à ce phénomène si caractéristique de Mayotte en l’abordant d’un point de vue féminin et microéconomique.

Une tradition mahoraise

L’histoire des shikowas est liée à celle de Mayotte. Un héritage venu d’Afrique, une tradition qui permet de s’affranchir de tout recours à des systèmes financiers habituels, banque ou micro-crédit. Aussi ancien que son origine étymologique est mystérieuse, le mot shikowa n'a aucune racine connue ni en shimaoré, ni en kibushi, les deux langues vernaculaires les plus courantes à Mayotte. Les anciens se souviennent que cela a toujours existé, presque uniquement pour les hommes. Les femmes, qui travaillaient sans salaire, exerçaient de petits métiers bien souvent non déclarés. Après guerre mais surtout à partir de la départementalisation, les femmes mahoraises ont eu accès à plus d’éducation, de formations et de professions. Cette modernité leur a permis de gagner plus d’argent et aussi d’épargner. Elles se tournent vers les shikowas par facilité, mais aussi parce que ce genre de tontine est compatible avec la religion musulmane. En effet, le Coran interdit l’usure, il n’est donc pas possible de placer de l’argent en touchant des intérêts.

Un monde des possibles pour les femmes

Depuis les années 1950, les Mahoraises se sont approprié ces cagnottes, au point que ces groupes d’échange et d’épargne informels sont désormais devenus majoritairement féminins et constituent un outil de financement de pans entiers de l’économie locale, aidant une partie de la population, dont 77 % vivent sous le seuil de pauvreté.

Le fonctionnement est simple. Des femmes décident de créer ensemble un groupe de relations, de connaissances, de proximités familiales, géographiques ou professionnelles et fixent une mensualité qu’elles doivent verser à l’une d’entre elles, la cheffe, chargée de la redistribution. Elles mettent leurs liquidités au service des autres.
"Une pour toutes, toutes pour une !"  souligne volontiers Bibi Fatima, l'une des protagonistes du documentaire. À tour de rôle, elles ont ensuite la possibilité d’emprunter le montant disponible de l’épargne collective pour le dépenser comme bon leur semble. Sans papier, sans contrat autre qu’un accord de confiance jamais démenti. Entre la puissance de la parole donnée, l’engagement au féminin et le poids de l’insularité, il n’y a quasiment pas d’exemples de shikowa féminin dans lequel certaines feraient défaut de paiement ou de cotisations.

Des affaires de femmes

Plusieurs femmes mahoraises se racontent et se confient sur la relation qui les unit à leur shikowa par tradition, mais aussi comme une évidence. Pour avancer dans leur vie, pour assurer leur statut de mère, pour développer une activité professionnelle, elles se sont associées à d’autres pour bénéficier de l’épargne de toutes. Elles ont opté pour ce financement informel dans lequel l’argent circule le plus souvent en liquide et sans traçage, sans encadrement comptable ou contractuel autre que la parole donnée. La clef de la réussite des shikowas est la sororité puissante qui unit toutes les femmes mahoraises.

J’ai eu l’idée de faire un shikowa car ma mère en faisait déjà un. Alors, un jour avec mes copines du marché, on s’est dit que si on voulait développer notre business, il fallait faire un shikowa. 

Naïcha

Naïcha

Naïcha a une trentaine d’années. Souvent vêtue d’élégants salouvas, tenues traditionnelles des Mahoraises, elle arbore un large sourire quand elle parle de sa boutique, située dans le grand marché de Mamoudzou. Elle y vend des robes et des salouvas, des modèles abordables mais aussi des pièces luxueuses pour les grandes occasions. Naïcha rêve d’ouvrir une deuxième boutique à Majicavo où elle habite. Pour financer le projet, elle a décidé, il y a quelques années, de créer un shikowa au sein des vendeuses sur le marché. Naïcha en est devenue la cheffe. Chaque femme dépose chaque mois mille euros en épargne. Une fois par an, elle dispose d'une somme d'argent suffisante pour faire le voyage à Dubaï où elle achète ses salouvas chez des grossistes. L’enjeu pour elle est important.

C'est grâce au shikowa que les femmes de Mayotte peuvent réaliser leurs rêves.

Rahababi

Rabahabi : "Nous, le femmes, on paye toujours nos dettes, car notre but c’est de nous entraider."

Rahababi a soixante trois ans. Toute sa vie, elle a fait des petits boulots. Ses deux filles habitent à quelques kilomètres de chez elle, dans leurs maisons en construction et loin d’être achevées. Dans la tradition mahoraise, les femmes endossent la responsabilité de la maison de leurs filles. Rahababi a adhéré à un shikowa. Quand son tour viendra de toucher la cagnotte, elle espère être en mesure de fournir tout le matériel dont ses deux filles ont besoin pour poursuivre les travaux dans leurs maisons.

Zaïtouni vit avec son époque. Elle a choisi de moderniser le système en créant un shikowa 2.0 via Facebook et WhatsApp.

Zaïtouni a fait un shikowa pour se constituer une épargne sur laquelle son mari n’a pas de droit de regard et pour être solidaire avec d’autres femmes de sa tontine. Zaïtouni a choisi de moderniser ce système en créant un shikowa 2.0 via Facebook et WhatsApp. Les femmes qui l’ont rejointe sont plutôt jeunes et avec leurs smartphones elles peuvent faire des transferts d’argent directement de leur compte personnel vers celui des autres membres du shikowa !

Réalisation : Mélanie Dalsace
Production : Bonne Compagnie, avec la participation de France Télévisions 
Durée : 52 min