Quand rentrer ? Avec quels aides ? Et surtout comment se réintégrer dans son territoire d'origine ? Toutes ces questions traversent l'esprit des jeunes ultramarins qui souhaitent rentrer au pays après leurs études. Ce mercredi soir, une cinquantaine d'entre eux ont pris place sur les bancs de Sciences Po Paris pour assister à la conférence " Refaire péyi dans les Outre-mer", organisée par la Chaire Outre-mer de l'institut. Pendant trois heures, géographes, associations, parlementaires et associations publiques se sont succédé sur la scène pour dresser un état des lieux du "retour au pays".
Pourtant, les étudiants ne sont pas déplacés uniquement pour écouter. Ils étaient surtout présents pour faire entendre leurs voix. " C'est l'occasion de nous exprimer sur nos ressentis, de partager comment nous, on perçoit les choses, parce que ça nous touche en premier lieu, précise Coleen Carmasol, présidente de l'association Sciences O, qui regroupe les étudiants ultramarins de Sciences Po.
Grâce aux différents témoignages, on va aussi pouvoir se rendre compte qu'au sein d'une même communauté d'étudiants ultramarins, chacun a des projets très différents.
Coleen Carmasol, présidente de Sciences Ô
Des rémunérations trop faibles
Au milieu du grand amphithéâtre Chapsal, Marie, Alban et Joao attendent patiemment le début de la conférence. Originaires de La Réunion, les trois étudiants se posent la question d'un retour après leur dernière année d'étude. " À chaque fois, que je rentre, on me demande quand est-ce que je reviens pour y travailler, confie Marie, en master d'affaires publiques. Il y a plein de choses qui font qu'on aimerait rentrer, mais ce n'est structurellement pas possible." À ses côtés, Alban hausse les épaules : "Je voudrais tenter le concours du Ministère des Armées." Autrement dit, un retour à La Réunion n'est pas envisageable tout de suite.
" On peut faire un sondage, dans la salle, qui veut rentrer ?", demande Abby Saïd Adinani, modératrice de la conférence. Dans l'assemblée, une majorité de mains se lèvent. L'envie ne manque pas, tout comme les questions qui les taraudent. Sur la scène, des invités défilent pour partager leurs témoignages. Peur de ne pas trouver d'emploi, de ne pas avoir une rémunération à la hauteur de leurs attentes et la difficulté à se faire un réseau sont les arguments qui reviennent le plus souvent.
Cette difficulté d'adaptation au marché du travail, Marta l'a vécu. Après six ans passés dans l'Hexagone, la Mahoraise décide de rentrer à Mayotte au début de l'année 2022. Elle n'y est restée que quelques mois. " On a peur de rentrer, la violence est omniprésente", déclare la jeune fille. Entrepreneuse, la Mahoraise dénonce un manque d'accompagnement pour l'adaptation des étudiants lorsqu'ils retrouvent leur territoire : " Le mode de vie a changé, et la manière de trouver un travail."
Un accueil "hostile"
" Il arrive que certaines personnes soient reçues de manière hostile à leur arrivée", déclare Yonaël de l'association Sciences O, qui a recueilli de nombreux témoignages. " Ces profils sont parfois vus comme des sachants qui descendent de l'avion, précise le Guyanais, invité sur scène pour partager ces retours d'expériences peu entendus. C'est dommage, en tant qu'étudiant, de se dire qu'on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé quand on va rentrer chez nous."
Contrairement à de nombreux étudiants, Audrey n'avait pas prévu de faire son retour au pays. "Coincée" en Guadeloupe à cause de la covid, la consultante a finalement changé ses plans de carrière. "Je ne vais pas dire que c'était facile, mais je l'ai fait à ma sauce", résume la Guadeloupéenne, qui a finalement passé trois ans sur son île avant de revenir dans l'Hexagone. Responsable marketing aux États-Unis et en Inde, Audrey a mis à profit son amour pour le voyage en travaillant en Guadeloupe, mais pour une entreprise tournée vers l'international. "L'important, c'est de faire sa place comme la personne que l'on est", ajoute celle qui a finalement réussi à se créer un cercle d'amis qui lui "ressemble plus".
" On n'est pas obligé d'avoir envie de sauver le monde pour rentrer", relativise Jade, qui, comme Audrey, est un peu effrayée par le terme "retour au pays". "On a grandi au pays, on ne fait que rentrer chez soi", indique la jeune Guadeloupéenne, aussi membre de Sciences Ô. Depuis l'estrade, l'étudiante rappelle un autre point de vue peu évoqué : " On peut aussi ne pas avoir envie de rentrer au pays."