L’accord avec le Mercosur ? "Un signal négatif pour le sucre de la Réunion et des Antilles" estime Philippe Chalmin

Champs de canne sur l'île de la Réunion
L’énorme production de sucre du Brésil est un motif d’inquiétude. Outre-mer, le gouvernement français aurait obtenu des aménagements pour les producteurs de canne à sucre de la Réunion et des Antilles.
 
Créer un espace de libre échange entre les pays sud-américains du Mercosur et l’Union Européenne. Tel est le projet ambitieux mais controversé pour lequel le gouvernement français n'a pas encore arrêté sa décision. Plus de 90 % des taxes entre les deux continents devraient être supprimées. En Europe continentale bien-sûr, mais aussi, au moins en partie, dans les régions d’Outre-mer de l’Union européenne. Cette libéralisation des échanges concerne le sucre de canne qui est la principale matière première agricole susceptible d'être exportée par les pays d'Amérique latine membre du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay.) "Ce n'est pas une bonne nouvelle pour les producteurs européens" estime Philippe Chalmin, universitaire et professeur à l'université Paris-Dauphine. 
 

De manière globale dans cet accord où l’agriculture est la variable d’ajustement, accorder un quota supplémentaire de 180.000 tonnes de sucre au Brésil est absurde, car globalement l’Europe est déjà excédentaire. J’ajoute que les coûts de production du Brésil vont déstabiliser un sucre européen déjà en crise dont les coûts de production, notamment dans les Outre-mer, sont supérieurs au prix du marché, au cours mondial.

Philippe Chalmin, expert des matières premières et du marché du sucre, coordinateur du cercle économique Cyclope


Le Brésil, géant du sucre
À lui seul, le Brésil, parmi les quatre pays sud-américains concernés par le futur accord avec l'Union européenne, est capable d’exporter en un an prés de deux fois la consommation européenne (environ 18 millions de tonnes). Il représente 33 % de la production mondiale. La baisse drastique des affrètements de navires pour le transport du sucre a dopé ses exportations. Et cet énorme producteur, qui vend son sucre à bas coût, est prêt à augmenter ses rendements. Ainsi, l'Amazonie est de plus en plus grignotée par la culture de la canne à sucre, chassant par la même occasion des peuples autochtones de leurs terres.

La Réunion et les Antilles, une petite production durable
Le traité de libre-échange risquerait donc d'une part d'augmenter la déforestation, et d'autre part d'affaiblir tous les producteurs de sucre de l'Union européenne dont ceux, particulièrement fragiles, des Antilles et de la Réunion. La France est l’un des trois pays de l'Union européenne, avec l’Espagne et le Portugal, à cultiver la canne à sucre. L’industrie française du sucre de canne est localisée dans 3 départements d’Outre-mer : la Réunion dans l’Océan Indien, la Guadeloupe et la Martinique aux Antilles. Cultivée de manière traditionnelle, la canne est destinée à la fabrication de sucre brut, mais également de rhum et d’alcool agricole. La canne française représente environ 37.000 hectares plantés à la Réunion, à la Guadeloupe et à la Martinique. La production totale est de 239.000 tonnes de sucre. En comparaison, la production du Brésil en 2018 a été de 32 millions de tonnes...

Inquiétude mesurée à la Réunion
Dans le cadre du projet d’accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur, le Brésil se verrait accorder un quota supplémentaire de 180.000 tonnes pour le sucre. De là à imaginer les vraquiers brésiliens débarquant leurs cargaisons de sucre dans les ports européens, y compris dans les Outre-mer, il n’y a qu’un pas que ne franchit pas encore Sylvie Le Maire, déléguée générale du syndicat du sucre de la Réunion : "la production de La Réunion se décompose en deux parties : 55% correspond à du sucre brut destiné au raffinage en Europe soit environ 115.000 tonnes. Sur ce plan, les concessions accordées au MERCOSUR sont importantes, 180.000 tonnes, elles sont bien supérieures à ce qui avait été envisagé, ce qui est problématique dans le contexte particulièrement difficile de l’industrie sucrière en Europe." Mais, et toujours selon les propres termes de Sylvie Le Maire, délégué générale du syndicat du sucre à la Réunion "Le reste de notre production 45% soit environ 80.000 tonnes exportées en Europe correspond à des sucres spéciaux que seuls les DOM et les pays tiers canniers peuvent produire. Sur ce marché, nous avons eu l’engagement que l’Europe n’accorderait pas de concessions nouvelles car ce marché est déjà ouvert à plus de 60% aux pays tiers. Il semble que l’engagement ait été tenu et que les sucres spéciaux soient exclus de l’accord MERCOSUR. Nous attendons toutefois le détail des textes et des lignes pour en avoir confirmation."

La filière durable canne-sucre des Antilles-Guyane et de la Réunion semble donc en partie exposée aux conséquences de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur, au premier rang duquel se trouve le Brésil, ce mastodonte économique de l'industrie sucrière. Même si, rappelons le, la filière agricole Outre-mer et avec elle la canne à sucre bénéficient des aides européennes négociées par la France qui assurent ainsi le maintien de milliers d'emplois.