Accouchement pendant le confinement : des femmes d’Outre-mer témoignent

Anne-Laure, Aurélie et Molène ont accouché pendant le confinement. Un mois plus tard, ces ultramarines reviennent sur cet événement, difficilement vécu en raison des protocoles sanitaires mis en place dans les maternités.
À l’évocation de son accouchement, sa voix tremble et des sanglots étouffés s’échappent de sa bouche, incontrôlables. Un mois et demi plus tard, c’est un souvenir heureux, mais aussi douloureux à évoquer pour Molène, 22 ans.
 

“J’ai paniqué”

La jeune femme a donné naissance le 4 avril à sa petite fille Thaïs, dans la clinique de Saint-Paul à Fort-de-France en Martinique, seule. En raison des protocoles sanitaires mis en place, le mari de Molène n’a pas pu aller au-delà du parking de la maternité.

En salle d’accouchement, le travail se déroule rapidement et sans difficulté. Mais Molène se retrouve déboussolée au milieu de l’agitation. “Je me sentais complètement perdue, explique la jeune femme qui accouchait pour la première fois. Quand on m’a proposé une péridurale, j’ai paniqué et j’ai dis oui alors que je n’en voulait pas.
 

La panique a pris le dessus parce que j’étais seule.
- Molène, 22 ans, Martinique


Une expérience éprouvante également pour son conjoint. Ce n’est que trois jours plus tard, à leur retour au domicile, qu’il a pu voir sa petite fille pour la première fois. “C’est un sujet un peu tabou entre nous, confie Molène. Bien sûr, le lien s’est tout de suite créé entre Malvinn et Thaïs… Mais c’était une peur qu’on avait”.
 
Molène et sa fille Thaïs
 

Absence de protocole harmonisé 

En France, il n’y a pas eu de protocole harmonisé pour toutes les maternités. “Chacune à fait en fonction de ses moyens, de sa situation”, explique Sonia Bisch, du collectif Tou.te.s contre les violences obstétricales et gynécologiques.

Par mesure de sécurité, certaines ont donc préféré proscrire la présence des conjoints en salle de travail et/ou dans la chambre . Et ce malgré les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) sur l’importance de l’accompagnement des femmes enceintes lors de l’accouchement.
   

Enquête nationale

Alerté par des femmes enceintes pendant le confinement, le collectif Tou.te.s contre les violences obstétricales et gynécologiques a lancé une enquête pour évaluer l’impact de l’épidémie sur la grossesse et l’accouchement dans l’Hexagone et en Outre-mer (Questionnaire à remplir jusqu’au 31 mai). 

Pour l’instant dans les témoignages on constate un manque de moyen, d’accompagnement… Beaucoup de solitude et de traumatismes”, détaille Sonia Bisch qui évoque aussi les risques de dépression post-partum en cas d’absence du conjoint pendant l’accouchement.

“On passe par différentes phases quand on accouche, abonde Anne-Laure, Guadeloupéenne. Un peu d’excitation, un peu de phases d’angoisse... On a besoin d’être réconfortée. Et puis c’est un projet à deux. C’est l’aboutissement d’être dans la salle d’accouchement avec la personne avec qui on a choisi d’avoir un enfant.
 

Accouchement en visio

Anne-Laure a accouché de son deuxième enfant, Oscar, le 17 avril dernier à la clinique des Eaux Claires en Guadeloupe. Là aussi, les conjoints n’étaient pas autorisés à pénétrer dans la maternité. 

Son mari a toutefois pu assister à l’accouchement… via un appel vidéo. Un dispositif proposé par l’hôpital pour pallier son absence.
 

Une sage femme m’a aidé à accoucher pendant qu’une autre me tenait le téléphone. De voir mon mari, là, à travers son écran de téléphone... il ne savait pas trouver les mots...
- Anne-Laure, 31 ans, Guadeloupe


“Je me mets à la place du personnel soignant… On a une problématique amplifiée par rapport à la Métropole, reconnaît Anne-Laure. On a peu de moyens, tout est compliqué pour organiser le soin et l'accueil. Les conditions de travail sont stressantes. Mais, d’un point de vue purement personnel, je ne trouve pas acceptable de ne pas avoir autorisé le papa. Ça arrive peu de fois dans une vie. La maman doit être bien entourée pour que tout se passe bien.

Aurélie, elle, fait partie des “chanceuses”. Son mari a été accepté dans la salle d’accouchement du CHOR de La Réunion, le 9 avril dernier lors de la naissance de leur petit Sasha. Mais ce terme, elle le rejette : “On m’a beaucoup répété que j’avais de la chance. Il y a un peu l’idée qu’il ne faut pas que je me plaigne parce que déjà, j’ai eu le papa avec moi.

Parce que ce qui la marque encore aujourd’hui, ce sont les jours qui ont précédé l’accouchement. Une période mêlée d’angoisses et d’incertitudes. “C’est durant un rendez-vous que ma gynéco m’a informé que mon mari ne pourra pas être présent en suites de couche” , explique l'enseignante. 
 

J’ai été inconsolable pendant deux jours et ai pris rendez-vous avec une hypnotherapeute pour me confronter à cette possibilité.
- Aurélie, 34 ans, La Réunion


Elle décide alors de changer d’hôpital et d'accoucher en clinique pour que son mari puisse être présent. Mais le 8 avril, quand ses contractions débutent, l’angoisse est toujours présente : “À ce moment là, les contractions sont espacées de seulement trois minutes. J’ai mal, mais j’attends encore. Le plus possible. J’avais lu le témoignage de mamans qui ont dû faire le pré-travail toute seule dans une pièce à l’hôpital pendant que le papa attendait dans la voiture qu’on l’autorise à monter. Je ne veux pas de cela, j’attends que la douleur soit insupportable pour être sûre d’aller directement en salle de naissance." 
 

“J’ai ressenti peu de bienveillance”

Pendant l’accouchement, Aurélie raconte un manque de considération et de suivi de la part du personnel soignant.

Quand je dis que j’ai une phobie +++ des piqûres, pendant la pose de la péridurale, la sage-femme me dit que ça ne fait pas plus mal qu’une perfusion, lève les yeux au plafond quand je crie. On m’administre un antibiotique sans m’en informer. J’ai cru qu’on m’avait injecté de l’ocytocine contre mon gré donc je demande ce que c’était. On finit d’ailleurs par m’en administrer sans mon consentement pour accélérer la délivrance juste après l’accouchement.

C’est seule qu’elle passe les deux jours suivants à la maternité. “Durant le séjour, quand j’appuyais sur le bouton, souvent une voix de l’interphone répondait plutôt qu’une présence. Et plutôt que d’échanger avec le papa sur ce nouveau sentiment d’être parents d’un deuxième enfant, je regarde la télé quand mon fils dort, pour passer le temps vu qu’il n’y aura pas de visites.

En résumé, Aurélie n’aura senti que “peu de bienveillance ou de pédagogie” de la part de l’équipe médicale.
 

On a mis la priorité sur les mesures sanitaires. Mais la sécurité affective de la maman, du bébé et du conjoint, on a décidé de l'éliminer. 
- Aurélie, 34 ans, La Réunion


Malgré une expérience éprouvante, les trois femmes ont pu profiter du confinement pour se retrouver avec leur conjoint et goûter à ce nouveau bonheur d’être parents.

L’enquête du collectif Tou.te.s contre les violences obstétricales et gynécologiques est encore disponible jusqu’au 31 mai. Pour témoigner, cliquez ici.