Aimé Césaire et le Parti communiste français, une relation complexe [#ParisCesaire]

En 2013, année de commémoration du centenaire de la naissance d’Aimé Césaire, un brillant essai revenait sur les rapports complexes que le poète martiniquais a entretenus avec le Parti communiste français. Décryptage. 
« Je crois en avoir assez dit pour faire comprendre que ce n’est ni le marxisme le communisme que je renie, que c’est l’usage que certains ont fait du marxisme et du communisme que je réprouve. (…) Je dis qu’il n’y aura jamais de variante africaine ou malgache, ou antillaise du communisme, parce que le communisme français trouve plus commode de nous imposer la sienne. (…) L’anticolonialisme même des communistes français porte encore les stigmates de ce colonialisme qu’il combat » (Aimé Césaire, Lettre à Maurice Thorez).

Lettre de démission

En octobre 1956, Césaire, alors député de la Martinique et membre du groupe communiste à l’Assemblée nationale, envoie sa lettre de démission du parti à Maurice Thorez, le secrétaire général du PCF. Son texte, qui sera publié par la presse (voir extraits ci-dessous), fait l’effet d’une petite bombe dans les milieux intellectuels et politiques de l’Hexagone et des Antilles. En novembre, l’écrivain est exclu de la Fédération communiste de Martinique, avant de créer plus tard le Parti progressiste martiniquais (PPM).

Qu’est ce qui explique un divorce aussi brutal avec un parti et un dirigeant qu’Aimé Césaire a par ailleurs encensés dans certains de ses écrits, un Césaire envoyé dans l’ex-URSS en mars 1953, juste après les funérailles de Staline, dont il chantera la gloire ? C’est ce qu’essaie de comprendre l’écrivain et éditeur David Alliot, auteur de « Le communisme est à l’ordre du jour, Aimé Césaire et le PCF », qui reconstitue avec précision l’itinéraire politique et littéraire du fondateur de la négritude, ses rapports avec le communisme, le surréalisme et les différents mouvements culturels dans le bouillonnement intellectuel qui caractérisait l’après-guerre.

"Un marginal et un humaniste"

L’ouvrage, très bien documenté, comporte des textes méconnus de l’écrivain martiniquais ainsi que des annexes provenant pour la plupart des archives du PCF. Cela permet de mieux appréhender toute la complexité du parcours communiste de Césaire, celui « d’un marginal et d’un humaniste ».

« Tiraillé entre son appartenance au parti de Maurice Thorez et ses amitiés surréalistes ; entre la liberté de création et le caporalisme imposé qui sévissait dans les fédérations ; entre les cultures nègre et européenne qui vivaient en lui, le député-maire de Fort-de-France n’a jamais réussi à concilier ses aspirations fondamentales » conclut David Alliot dans son livre.

David Alliot, « Le communisme est à l’ordre du jour, Aimé Césaire et le PCF » – éditions Pierre-Guillaume de Roux, janvier 2013 - 383 pages – 26,90 euros.

Extraits de la "Lettre à Maurice Thorez" d’Aimé Césaire

« Pour ma part, je crois que les peuples noirs sont riches d’énergie, de passion, qu’il ne leur manque ni vigueur, ni imagination mais que ces forces ne peuvent que s’étioler dans des organisations qui ne leur sont pas propres, faites pour eux, faites par eux et adaptées à des fins qu’eux seuls peuvent déterminer.
Ce n’est pas volonté de se battre seul et dédain de toute alliance. C’est volonté de ne pas confondre alliance et subordination. Solidarité et démission. Or c’est là très exactement de quoi nous menacent quelques-uns des défauts très apparents que nous constatons chez les membres du Parti communiste français : leur assimilationisme invétéré ; leur chauvinisme inconscient ; leur conviction passablement primaire – qu’ils partagent avec les bourgeois européens – de la supériorité omnilatérale de l’Occident ; leur croyance que l’évolution telle qu’elle s’est opérée en Europe est la seule possible ; la seule désirable ; qu’elle est celle par laquelle le monde entier devra passer ; pour tout dire, leur croyance rarement avouée, mais réelle, à la civilisation avec un grand C ; au progrès avec un grand P (…)

Dans ces conditions on comprend que nous ne puissions donner à personne délégation pour penser pour nous ; délégation pour chercher pour nous ; que nous ne puissions désormais accepter que qui que ce soit, fût-ce le meilleur de nos amis, se porte fort pour nous. Si le but de toute politique progressiste est de rendre un jour leur liberté aux peuples colonisés, au moins faut-il que l’action quotidienne des partis progressistes n’entre pas en contradiction avec la fin recherchée et ne détruise pas tous les jours les bases mêmes, les bases organisationnelles comme les bases psychologiques de cette future liberté, lesquelles se ramènent à un seul postulat : le droit à l’initiative. (…)

C’est assez dire que pour notre part, nous ne voulons plus nous contenter d’assister à la politique des autres. Au piétinement des autres. Aux combinaisons des autres. Aux rafistolages de consciences ou à la casuistique des autres.
L’heure de nous-mêmes a sonné. »

Regardez notre reportage à la sortie du livre de David Alliot (par Christian Tortel)
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