Comme souvent avec Albert Londres, l’œuvre est une immersion, et l’écriture se veut curieuse. Avant de devenir le grand journaliste qu’on connaît aujourd’hui, il se voyait poète. "Son style d’écriture est incomparable, elle est très imagée. Il a un sens des formules hors du commun", admire Hervé Brusini, président du prix Albert-Londres – un concours qui récompense depuis 1933 les meilleurs reporters francophones de moins de 40 ans.
Né le 1ᵉʳ novembre 1884, Albert Londres est l'un des plus emblématiques journalistes français, décédé en 1932 dans l'incendie du paquebot Georges-Philippar dans l'océan Indien. Grand reporter, il était considéré par beaucoup comme faisant du "reportage au long cours".
Tout au long de sa carrière, il avait un leitmotiv : s'intéresser aux faits sociaux pour les dénoncer. Dans son reportage réalisé en Guyane en 1923 et qu’il intitulera Au Bagne, il ne déroge pas à cette règle. Cette enquête de plusieurs volets sera publiée le 8 août 1923, dans le Le Petit Parisien.
Depuis la Guyane, le journaliste se livre à nouveau style : celui du reportage in situ. Pendant près d’un mois, Albert Londres va partager, observer, analyser puis raconter la vie des bagnards. "Albert Londres est un enquêteur, il cherche les informations afin que ses propos soient infaillibles", témoigne Hervé Brusini.
"Ce reportage a changé sa vie "
Il y a des étapes qui changent l'existence d’un homme. Celle d’Albert Londres va se trouver transformée à la suite de son passage au bagne de Guyane. "Ce reportage a marqué un tournant dans sa vie de journaliste, ce voyage lui a ouvert les yeux", déclare Marie De Colombel, présidente de l'association de la maison Albert-Londres. Dans Au Bagne, le journaliste fustige un système carcéral inhumain, mais aussi inefficace.
C’est un projet qu’Albert Londres avait depuis longtemps. Des années avant lui, d’autres journalistes avaient commencé à en parler, mais sans réellement montrer pourquoi c’était une horreur.
Hervé Brusini
Les propos d’Albert Londres à travers sa série de reportages sont pleins d’humanité. Le journaliste, tout en gardant sa rigueur professionnelle, décrit les conditions de vie horribles des bagnards. Il parle de la violence qui y règne, des injustices avec notamment la loi du doublage – c’est-à-dire qu’on double la peine du détenu une fois qu'il est arrivé dans la prison — mais aussi des maladies comme la lèpre et des trafics.
"Lui [Albert Londres, NDLR], il constate l’horreur de la condition pénitentiaire des hommes qui sont là-bas. Il les dénonce, et même si ça ne plaît pas aux autorités, il le fait avec force et provoque un débat national qui, à terme, conduit à la fin du bagne", souligne l’ancien journaliste Hervé Brusini et actuel président du prix Albert-Londres.
100 ans plus tard, "Au Bagne" attire toujours
Un siècle plus tard, les œuvres d'Albert Londres suscitent toujours autant l'admiration. Depuis 2021, une association à son nom a élu domicile dans sa maison d'enfance à Vichy. Là-bas, un vrai culte est voué au journaliste. "On a une pièce consacrée totalement aux bagnes et les gens regardent énormément ses panneaux. Le livre Au Bagne est l’un de ceux qui se vendent le plus, notamment chez les jeunes, qui en première lecture se tourne vers cet ouvrage", annonce Marie De Colombel.
Albert Londres était un précurseur dans le monde du journalisme. En partant pour les îles du Salut, le journaliste voulait embarquer avec lui une caméra. Mais son rédacteur en chef de l'époque va refuser. Il a alors l'idée de faire des photos. "Il était en avance sur son temps, car il était accompagné d’un photographe pour 'appuyer'" ce qu’il disait. Son but était de dénoncer tout ce qu'il se passait ", relate Hervé Brusini.
Plusieurs années après sa publication, Au Bagne d'Albert Londres est toujours un classique du reportage immersif. "Je recommande cette lecture. [...] Ce qui est formidable avec Albert Londres, dès que vous ouvrez ce livre, vous l’accompagnez dans sa découverte. C’est fascinant, car on vit son indignation avec lui à travers la lecture", estime Hervé Brusini.
Grâce à cette série de reportages d'Albert Londres, le bagne sera officiellement aboli le 17 juin 1938. Plus de 75.000 détenus au total y ont séjourné, avec un taux de mortalité supérieur à 20%.