Autonomie alimentaire : l’aquaponie, un atout pour les Outre-mer ?

C'est une forme d’agriculture et de pêche innovante mais encore balbutiante en France. L’aquaponie associe, dans des serres, l’élevage de poisson et la culture de végétaux. Elle apparaît comme une solution viable à Saint-Pierre et Miquelon où une ferme devrait bientôt voir le jour.
L'aquaponie, Fabrice Télétchéa y croit dur comme fer. Cet enseignant-chercheur à l’Université de Nancy voit dans cette forme de production l’une des solutions de relance économique pour son archipel natal, Saint-Pierre et Miquelon, après l’effondrement de la pêche dans les années 90. Outre du poisson, elle permettrait également de développer la culture de fruits, légumes et plantes aromatiques sur un territoire où le sol n’est pas réputé fertile et où la météo est parfois hostile.
Fabrice Teletchea voudrait encourager la création de fermes aquaponiques à Saint-Pierre et Miquelon.
 

L’aquaponie, qu’est-ce que c’est ?

C’est la culture de végétaux en symbiose avec des poissons. Un cercle vertueux où l’eau circule entre les différents bacs, sans gaspillage ni pollution, car en circuit fermé. Les déjections des poissons sont transformées par des bactéries, en nutriments pour les plantes. Ces dernières filtrent et oxygènent l’eau qui repart alimenter le bac des poissons.

Encore peu connue en France, l’aquaponie est une technique pratiquée depuis plusieurs siècles. "Historiquement, c'est quelque chose qui s'est surtout développé en Amérique du Sud, explique Pascal Fontaine, directeur de URAFPA (Unité de recherche Animal et fonctionnalités des produits animaux), laboratoire de recherche de l’Université de Lorraine. Ce sont notamment des systèmes qui ont été produits par les populations amérindiennes sur les lacs, notamment."
Pascal Fontaine est le directeur de l'URAFPA depuis une dizaine d'années.

Transposée dans des serres, l’aquaponie peut se pratiquer partout en zone urbaine ou rurale, à l’échelle individuelle ou commerciale. Les serres viennent occuper des espaces laissés libres, comme le toit des immeubles en ville ou un coin de jardin. "Ça permet d'optimiser des espaces et, surtout, comme on régule la température dans des serres, on peut s'affranchir des conditions environnementales," détaille Pascal Fontaine. Économe, écologique, modulable… l’aquaponie séduit de plus en plus.
 

Centre de recherche universitaire

Spécialisé dans l’élevage de poissons en circuit fermé, Fabrice Télétchéa est le responsable de la Licence professionnelle "Aquaculture continentale et aquariologie" de l'université de Nancy. Depuis une dizaine d'années, il a participé à former près de 250 étudiants qui sont désormais des professionnels de la filière.
 
Guillaume Rech et Erwan Vigouroux sont deux des étudiants de Fabrice Teletchea à l'Université de Lorraine à Nancy.

"On va développer de nouveaux cours, promet Fabrice Teletchea. Et puis j'ai pris des contacts avec des collègues aux Îles de la Madeleine qui, eux, ont deux ou trois ans d'expérience." En attendant de monter un projet à l'international, l'an prochain, il développe des partenariats en Lorraine, sa région d'adoption et à Saint-Pierre et Miquelon.
 

Sensibilisation dès l’école

Pour développer son projet sur le long terme, l’universitaire originaire de Saint-Pierre et Miquelon mise aussi sur la jeunesse. Aidé de ses étudiants de Licence professionnelle, il monte des partenariats avec différents établissements de Lorraine. D’abord le collège Julienne Farenc de Dombasle-sur-Meurthe, où, en quelques mois, des élèves de 4ème ont construit leurs propres systèmes aquaponiques pour répondre à une question fondamentale : "Comment nourrir des spationautes sur Mars ?"
Tous les jeudis après-midis, les élèves de 4ème du collège Julienne Farenc testent le pH et le taux de nitrates et nitrites dans leurs aquariums.

Le projet est tellement populaire que d'autres écoles souhaitent se jeter à l'eau. Des élèves du collège Les Tilleurs de Commercy, à une cinquantaine de kilomètres de Nancy, s’apprêtent à travailler sur le même type de projet, avec en toile de fond l’autonomie alimentaire des habitants de Saint-Pierre et Miquelon. Ils construiront leurs propres modules en collaboration avec les élèves du lycée Emile Letournel de l'archipel de l'Atlantique Nord qui viennent eux aussi de se lancer dans l’aventure.

Moyen tangible de rendre les sciences plus accessibles, l’aquaponie n’est, cependant, pas qu’un champ de recherche universitaire ou un outil pédagogique. Les Norvégiens l’ont compris, il y a quelques années, et disposent désormais de fermes à l’échelle industrielle. Dans l’Hexagone et Outre-mer, des projets – de moindre envergure - voient également le jour. 
 

Un secteur qui décolle

Fabrice Télétchéa tisse également un réseau de professionnels, comme Pascal Goumain, un producteur de poisson en Normandie. Sa première ferme a vu le jour à Cherbourg, il y a deux ans. "Le hors-sol est la seule possibilité de développement", confie celui qui élève des salmonidés dans la rade. D’autres serres ont suivi, comme à Asnières-sur-Seine et bientôt à Paris. "On espère créer une cinquantaine de sites en France. Avec des tailles qui vont de quelques centaines de mètres carré jusqu’à 2 hectares."
"Les jardins du saumonier Cherbourg" sont abrités par une serre de 100m2.

S’il a commencé avec des poissons des mers chaudes, Pascal Goumain travaille désormais avec des espèces qui vivent en eau froide. Il évite ainsi de dépenser de l’énergie pour réchauffer ses bassins. Une bonne nouvelle pour Saint-Pierre et Miquelon et son climat pas toujours clément.
 

Écolo et économe

D’une surface de 100m2, "les jardins du saumonier Cherbourg" peuvent produire jusqu’à 20 tonnes de poisson et 80 tonnes de végétaux, sans aucun pesticide ni antibiotique. Même la nourriture des poissons, à bas d’insectes, est bio. La production, elle, n’obtiendra pas le label qui n’est jamais délivré aux cultures hors-sol."
La ferme aquaponique de Pascal Goumain, à Cherbourg, sert aussi d'outil pédagogique pour expliquer l'aquaponie aux habitants de la région et aux touristes.

Sols et mers pollués, tempêtes, littoral très convoité… c’est toute la France, hexagonale et ultramarine, qui lorgne désormais sur cette alternative. Face à la sur-pêche et à la mauvaise image de l’élevage, l’aquaponie séduit de plus en plus. Fabrice Télétchéa a d’ailleurs été contacté par un jeune guyanais, intéressé par ses recherches. "C’est exactement ça que je recherche, des porteurs de projets locaux motivés !"

Intéressant quand on sait que la France possède le deuxième domaine maritime mondial - notamment grâce à ses territoires d’Outre-mer - mais qu'elle importe près de 85% de son poisson d’élevage.
©la1ere