Dans la Guadeloupe des années 1640, on suit deux personnages : une Amérindienne et un esclave marron. Elle fuit le colon qui l’a mise enceinte, lui s’est évadé d’une plantation. D’abord méfiants l’un envers l’autre, ils se libèrent peu à peu du regard colonial.
Ici s’achève le monde connu, de la réalisatrice guadeloupéenne Anne-Sophie Nanki, fait partie des films présélectionnés pour le César 2024 du meilleur court métrage de fiction. La liste des quatre nommés sera connue le 24 janvier prochain, avant la cérémonie décernant les prestigieuses statuettes, en février.
À en croire Jean-Pascal Zadi, le parrain de la sélection officielle, le film a toutes ses chances. "J’en ai vu 15 ou 16. C’est celui qui m’a le plus marqué, dans le propos et dans la mise en scène", explique l’acteur et réalisateur, lui-même César du meilleur espoir masculin pour son rôle dans Tout simplement noir.
"Je pense que tu vas rester là pendant très longtemps. C’est le premier truc que je me suis dit quand j’ai vu le film", dit-il en se tournant vers Anne-Sophie Nanki. Jean-Pascal Zadi, qui a déjà collaboré avec la Guadeloupéenne, salue "son énergie" et "son intelligence".
Une histoire rarement racontée au cinéma
"Je pense que c’est une histoire que tu avais envie de voir. Je trouve que c’est remarquable, parce que c’est le but du cinéma pour moi : créer des histoires qu’on n’a pas pu voir", avance l’acteur et réalisateur. "J’ai fait le film que j’aurais aimé voir quand j’étais petite", confirme la jeune femme.
"L’idée, c’était de faire le film qui raconte les débuts de mon île, la Guadeloupe. Quand j’étais petite, je ne savais pas du tout comment on était arrivés là, quelles civilisations il y avait avant les Africains, avant les Européens. Ça manque dans nos livres d’histoire et dans nos cinémathèques", juge Anne-Sophie Nanki, qui, bien que née aux Antilles, a grandi en région parisienne.
Pour écrire son film, la réalisatrice a fourni un important travail documentaire, se plongeant dans les archives, dans le travail d’historiens et dans les mémoires d’explorateurs et de naturalistes. Ce souci du détail lui a fait évacuer le français ou le créole, trop anachroniques : les deux comédiens guyanais qui portent le court métrage dialoguent en bushinenge tongo, une langue de contact née de la rencontre entre les langues amérindiennes, ouest-africaines et européennes.
Changer la focale
"On raconte toujours cette histoire du point de vue des caravelles, des colons qui arrivent et qui découvrent ce nouveau monde. Mon parti pris, c’est d’être de l’autre côté, du côté des Amérindiens, des autochtones", explique la réalisatrice, qui a mis beaucoup d’ironie dans son titre, puisqu’"Ici s’achève le monde connu" est une citation de Vasco de Gama. Le navigateur a inscrit ces mots dans son journal en dépassant les limites du monde connu des Européens.
L’idée, c’était de renverser la perspective : on n’est pas du côté de John Smith, on est du côté de Pocahontas. L’idée, c’était de rendre justice à toutes les Pocahontas.
Anne-Sophie Nanki, réalisatrice.
Présenté en festivals depuis l’été 2022, le film a déjà remporté une vingtaine de prix. Avant la consécration du César ? "Les Césars, c’est une opportunité incroyable de faire connaître cette histoire au public français, s’enthousiasme la réalisatrice. C’est aussi l’occasion de mettre en valeur le travail de l’équipe du film, des techniciens et de tous ceux qui ont travaillé sur le projet. C’est une reconnaissance du métier, et c’est un vrai coup de projecteur sur les projets que je porte depuis longtemps." Anne Sophie Nanki veut notamment adapter son histoire en long métrage. Le titre -Ici commence le nouveau monde- est déjà trouvé. Le scénario est déjà écrit. Reste à convaincre un producteur.