Pour le basketteur guyanais Steeve Essart, entraîner est un supplice passionnant

L'ex-basketteur guyanais Steeve Essart dans son nouveau costume d'entraîneur
Pas évident de passer de l’autre côté de la barrière. Après une belle carrière de joueur, le basketteur guyanais Steeve Essart a décidé de devenir entraîneur. Un long chemin de formation qui permet à Steeve de mieux comprendre Essart. Et vice versa.
Mine de rien, voilà déjà trois ans que Steeve Essart apprend son nouveau métier. Trois années qu’il a passées au sein du Caen Basket Calvados. Dans le costume d’entraîneur-adjoint. Tout en préparant son futur diplôme de coach qui comprend trois degrés. Steeve avait déjà validé le premier. Le deuxième (lié à l’assistance vidéo) aurait dû être certifié le 26 avril dernier. Mais le coronavirus a tout stoppé. Tout retardé. Étrange fin de contrat pour l’apprenti : "Du jour au lendemain, le Palais des Sports de Caen a été interdit d’accès. Plus aucun contact direct. Juste des rendez-vous WhatsApp avec les joueurs. J’ai découvert l’étrange sensation de me retrouver complètement désœuvré à la maison. En un éclair, je suis passé d’assistant-coach surbooké à professeur des écoles à domicile avec mon épouse pour notre fille Kayla en CE1. Un sacré changement."  

Papa Essart ne regrette pas cette parenthèse plutôt agréable du confinement. Ce fut l’occasion de passer plus de temps avec son épouse Carine et leurs enfants. D’être "vraiment" avec eux. Car le métier d’entraîneur occupe Steeve physiquement et mentalement non-stop : "C’est un job duquel tu te déconnectes rarement. Même si tu rentres chez toi à 20h00, une partie de ta tête demeure à la salle. Tu penses vidéo à analyser, tactique à faire évoluer, joueur à surveiller… Et quand tu te couches, tu t’endors souvent avec les mêmes problématiques."

Après plus de vingt ans sur les parquets en tant que joueur, on aurait pu penser Steeve Essart expérimenté et endurci. Strasbourg, Cholet, Gravelines, Bourg-en-Bresse… Il a connu les plus grosses équipes. Sauf que le Guyanais est désormais passé de l’autre côté de la barrière. Adieu le joueur vedette. Bonjour l’entraîneur débutant : "Lors des premiers entraînements que j’ai encadrés, une réalité m’a sauté aux yeux. Je me suis dit : j’espère que je n’étais pas comme eux. Un sportif de haut-niveau, tout lui est dû. Donc une équipe de basket, c’est une guerre d’egos. La gestion humaine se révèle usante. Frédéric Sarre, mon ancien coach à Strasbourg m’a d’ailleurs envoyé ce message : Bienvenue dans le monde du coaching. Maintenant tu vas comprendre ce que tu nous as fait subir ! C’est assez bien vu."
 
Le Guyanais Steeve Essart, assistant-coach à Caen
 

Un entraîneur déconfiné et bientôt diplômé

Le deuxième degré de son diplôme, Steeve le passera finalement le 26 juin en visioconférence. Après quoi, le Guyanais s’attaquera au dernier rempart : le troisième degré, seule validation qui autorise à entraîner une équipe de Jeep Elite (comprenez la Pro-A). En revanche, il ne retournera plus au Palais des Sports de Caen. Contrat terminé. Avenir incertain. Car les conséquences économiques du Covid-19 pour les clubs de basket français s’annoncent terribles : "La plupart des équipes vont réduire leurs budgets de 20 ou 30 %. C’est l’effet crise. Dans ces conditions, ce n’était pas la bonne année pour arriver en fin de contrat. Mais je ne suis pas inquiet. Mon agent non plus. Je vais rebondir."

Un rebond pourquoi pas à l’étranger. Steeve le joueur en rêvait. Ça ne s’est jamais fait. Essart l’entraîneur pourrait réparer ça : "J’ai fait des propositions de service à des équipes aux États-Unis et au Canada. Le coronavirus est encore très présent là-bas. Ça complique forcément les choses. Mais disons que je suis ouvert à tout."
D’ailleurs si demain, Essart l’entraîneur parvient à faire oublier Steeve le joueur, ses rêves d’exil n’auront pas forcément le goût du hamburger. Plutôt de la paella : "C’est vrai que le basket espagnol m’attire énormément. Les clubs y sont bien structurés. Le public passionné. Je pourrais y développer un jeu très défensif avec beaucoup de relances."
 
Séquence émotion en 2016 : le Guyanais Steeve Essart dispute son dernier match à Vichy
 

Le drame du basket français

Au milieu des années 90 lorsqu’il débarque de Guyane, Steeve Essart intègre la fameuse équipe des Cardiac Kids. Club de Levallois. Budget rikiki. Les joueurs ont moins de vingt ans. Ils s’appellent Sacha Giffa ou Brice Bisseni. Sauf que Ron Stewart le coach américain n’hésite pas à leur faire confiance. Les résultats seront à la hauteur du pari. Avec notamment une finale de Coupe de France à Bercy en 1998. Certes perdue. Mais cette belle histoire de jeunes joueurs français titulaires est encore dans toutes les mémoires des fans de basket : "Vous savez pourquoi ? interroge Steeve Essart. Parce qu’à cette époque, le public pouvait s’identifier. Il nous connaissait. Aujourd’hui, sur une feuille de match, les joueurs français se retrouvent minoritaires. Les jeunes restent sur le banc. Comment peuvent-ils progresser ? Le basket français se meurt alors que dans le même temps, nous constituons le plus gros contingent de joueurs étrangers en NBA. Cherchez l’erreur."

Steeve Essart pourtant veut croire que la situation n’est pas inéluctable. Peut-être en abaissant le nombre de joueurs étrangers autorisés dans chaque équipe ? Tout en continuant à développer les différentes structures de formation et de détection. Le Guyanais rêve ainsi de tendre la main aux jeunes de son département. Avant le confinement, il avait rencontré le sénateur Antoine Karam. Première prise de contact. Mais pour gagner ce match, la démarche se doit d’être collective : "J’ai une tonne de projets pour le basket en Guyane mais je ne pourrai y arriver qu’en travaillant avec les autres pros guyanais. Damien Inglis, Gide Noël ou Steeve Ho You Fat m'ont déjà donné leur accord. Et je suis convaincu que Kevin Séraphin sera également partant. Nous voudrions commencer par créer une Académie de basket. Restructurer notre sport, c’est un défi de taille mais j’y crois."

À 42 ans, Steeve Essart se retrouve sur tous les fronts : un diplôme d’entraîneur à compléter, un nouveau club où s’installer et un département à aider. Dans les prochains mois, le cerveau du garçon risque d’avoir bien du mal à se réserver des espaces de déconnexion.