Bicentenaire de la mort de Napoléon : le rétablissement de l’esclavage fait tache dans la commémoration

Faut-il commémorer Napoléon lors du bicentenaire de sa mort le 5 mai 2021? Non, répondent ceux qui rappellent que Bonaparte a rétabli l'esclavage, aboli auparavant par la Convention. L’Elysée précise qu’on commémorera sans célébrer en évoquant le pire et le meilleur du personnage.

Il y aura donc bien une commémoration lors du bicentenaire de la mort de Napoléon, le 5 mai prochain. Une cérémonie dite "équilibrée" où l'on devrait évoquer les aspects brillants mais aussi la face sombre du personnage.

E. Macron peut-il commémorer Napoléon le 5 mai et les abolitions de l’esclavage le 10 ?

Un en même temps du chef de l'Etat qui ne passe pas auprès des détracteurs de l'ex empereur. A leurs yeux, les crimes majeurs que celui-ci aurait commis, ne sont pas un détail comme les résume Louis-Georges Tin, président d’honneur du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires).

"Un crime politique : le coup d'Etat du 18 Brumaire. Ensuite des crimes de guerre dans toute l'Europe. Ensuite un crime contre l'Humanité, bien sûr, le rétablissement de l'esclavage dans les colonies. On ne saurait, de ce point de vue, commémorer un individu comme celui-là. L'enseigner oui. Le commémorer non. Si M. Macron persiste à vouloir célébrer le bicentenaire de la mort de Napoléon le 5, il ne sera plus digne de célébrer les abolitions de l'esclavage le 10. On ne peut pas célébrer une chose et son contraire."

"Il ne faut pas garder le corps de Napoléon aux Invalides"

Louis-Georges Tin fait même une contre-proposition : "il ne faut pas garder le corps de Napoléon aux Invalides. Il faut respectueusement remettre la dépouille à la famille et transformer les Invalides, pourquoi pas, en musée de l'histoire des républiques. C'est ce qu'on a fait par exemple avec Franco (NDLR : ex dictateur espagnol). Il y avait dans la Valle de los Caidos, en Espagne, un tombeau monumental qui posait un vrai problème… On a transformé ce lieu en musée de l’histoire de la guerre civile."

"Il n’y a pas qu’une histoire pour les Bisounours"

Les partisans de la commémoration soulignent, eux, qu’une commémoration n’est pas une célébration (même son de cloche à l’Elysée). De toutes façons, le créateur du code civil leur semble incontournable, comme l’explique l’historien Dimitri Casali :

"C'est lui qui a créé le Conseil d'Etat, la Cour des Comptes, les préfets, les départements. Il a tout fait. Il faut absolument qu'il y ait la face lumineuse de Napoléon et la face obscure. Et l'histoire, depuis la nuit des temps est faite ainsi. Il n'y a pas qu'une histoire pour les Bisounours. L' Histoire a toujours été une longue suite de crimes contre l'Humanité a écrit Pierre Nora (NDLR : historien, membre de l’Académie Française)."

Napoléon, contre le rétablissement de l’esclavage, aurait cédé face aux lobbies

Pour Dimitri Casali, comme pour nombre de défenseurs de Bonaparte, celui-ci n'était d’ailleurs pas vraiment partisan du rétablissement de l'esclavage :

"Quand on lit les minutes du Conseil d'Etat où le débat de la loi du 20 mai (1802) a eu lieu, on s'aperçoit que le seul qui est contre le rétablissement de l'esclavage, eh bien, c'était lui. Quand il le fait, il cède avant tout au lobbying économique des armateurs de Nantes et de Bordeaux."

Emergence de l’idéologie raciste

Un rétablissement facilité aussi selon l’historien Marcel Dorigny, spécialiste de l’histoire de l’esclavage, par l'émergence d'une idéologie raciste, en opposition à l'égalité qu’avaient prônée auparavant les philosophes des lumières :

"Fin du XVIIIe siècle, et ça va s'accélérer au XIXe, apparaissent des théories, (sur) la hiérarchie des races. On voit apparaitre le livre de Virey qui pour la 1ère fois publie ce fameux tableau où l'on voit la hiérarchie de l'espèce humaine. Tout en haut, on voit un buste d'homme blanc, un buste à la grecque, Apollon, et tout en bas un grand singe."

Le projet colonial (raté) de Napoléon explique le rétablissement de l’esclavage

Mais Napoléon, pragmatique, a aussi cédé à ses propres ambitions que dévoile l’historien :

"Il y avait un grand projet colonial qui supposait le retour à l'ordre ancien. C'est-à-dire le rétablissement de l'esclavage. Un des aspects essentiels de ce projet colonial, c'était de faire du golfe du Mexique une Méditerranée française. Et ça a échoué."

Un échec lié à la perte d'un fleuron essentiel, St-Domingue devenu par la suite Haïti (1ère république noire en 1804).

L’esclavage de plus en plus lourd dans le bilan napoléonien

A partir de 1802 le 1er consul aura donc maintenu l'esclavage à la Martinique et dans les colonies de l'Océan Indien, où l'abolition de1794 n'avait pu s'appliquer. Et il l'aura rétabli notamment en Guadeloupe et en Guyane.

Des actes qui, avec d'autres, pèsent de plus en plus lourd dans le bilan de Napoléon au fil des commémorations.