Représentations
Parmi ces voix figure Élodie-Aude Arnolin, alias LaBooktillaise sur les réseaux sociaux. Cette étudiante Martiniquaise de 23 ans est une "bookstagrameuse" : une Instagrameuse spécialisée dans les recommandations d'œuvres littéraires.Sur son compte, elle partage ainsi ses nombreuses lectures et met notamment en avant les auteurs et autrices des Outre-mer. D'autres bookstagrameuses également issues des Outre-mer font un travail similaire : Maddysbook, Melody__t, MissVoltan... Parmi les noms cités, Maryse Condé, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Estelle-Sarah Bulle ou encore Simone Schwartz-Bart.
Un travail encore plus précieux dernièrement : "Les livres permettent de faire connaître nos luttes et nos combats à ceux qui n'en ont pas conscience", explique Élodie-Aude.
Car ces suggestions de lecture ne s'adressent pas qu'aux personnes concernées. Ces livres peuvent être des outils pour apprendre à être des "allié.e.s". "J'ai reçu énormément de messages de gens qui ne se rendaient pas compte de ce qui arrivaient aux personnes racisées", raconte Élodie-Aude à Outre-mer la 1ère. "Des personnes m'ont dit "je suis désolé.e, qu'est-ce que je peux faire", et ça c'est vraiment génial". La Foyalaise se réjouit de voir que "les choses changent" :
Je comprends que des gens n'osent pas prendre la parole, que des personnes ne se sentent pas légitimes. Mais ils le sont et qu'ils partagent la parole des concerné.e.s, ça prend deux secondes et il faut relayer, montrer ce qu'on fait. Ce qu'il se passe, ça concerne tout le monde. Les noir.e.s en premier, oui, mais ensuite, tout le monde : c'est un être humain.
Un être humain dont tout le monde doit, mais aussi peut parler, explique la jeune femme qui écrit elle-même des nouvelles : "Les auteurs non-racisés ont le droit d'écrire sur les communautés mais ils n'ont pas le droit d'écrire n'importe quoi". Il existe aujourd'hui des "sensitivity readers" qui collaborent avec les maisons d'édition pour vérifier que les ouvrages à paraître ne contiennent pas d'erreurs et de clichés qui pourraient blesser les communautés concernées.
Le pouvoir des livres pour enfants
En ce sens, l'apprentissage prôné par Élodie-Aude doit aussi commencer dès l'enfance. "Voir dans les livres qu'à chaque fois je ne retrouve pas ma couleur, mes cheveux, ça crée de sérieux problèmes identitaires", note-t-elle. Quand on est enfant et qu'on ne voit pas dans les livres, "on se demande si on est important", "si [sa] peau a un problème", si on a "la mauvaise texture de cheveux".On a envie de ne plus se ressembler et de ressembler aux personnes qui sont dans les livres. Et souvent, ce sont des personnes blanches.
Dans une longue vidéo publiée sur son compte, la bookstagrameuse raconte ainsi son propre rapport à ses cheveux, les défrisages pour avoir l'air de l'actrice d'une série en vogue, l'absence de modèles qui lui ressemblaient dans les médias en général. "J'ai pleuré en lisant "J'ai mal à mes cheveux", un livre pour enfants de 15 pages !", confie-t-elle. "Beaucoup d'enfants en auraient eu besoin", mais aussi les parents "qui ne savent pas toujours".
Du travail dans les maisons d'édition
Aujourd'hui étudiante en DUT gestion des entreprises et des administrations, Élodie-Aude songe de plus en plus à s'orienter dans l'édition. "Il n'y a pas assez de livres sur ça", souligne-t-elle à regret, "et on ne devrait pas avoir à réclamer ça en 2020". "Et il y a aussi le problème des couvertures de livres avec des personnages blancs sur les couvertures alors que les personnages sont noirs dans le livre", note Élodie-Aude dans un rire indigné.Peut-être que les maisons d'édition ont peur que ça ne se vende pas. Mais c'est faux ! Nous les racisés nous sommes là, en France. Et aussi dans les départements et territoires d'Outre-mer où nous sommes majoritairement noirs et où on lit. Nous existons. On aimerait avoir un peu de représentation. On ne demande pas que seulement cette catégorie soit représentée, on dit que nous on veut l'être aussi.
Être représenté, oui, mais pas uniquement dans les combats : "On veut des livres qui racontent nos luttes pour que les autres puissent les voir mais aussi des livres qui nous représentent mais nous permettent de mettre de côté nos oppressions et de ne pas exister qu'à travers ça", explique Élodie-Aude. Et de conclure : "Les gens ne comprennent pas qu'un livre peut tout changer."