Le carnaval a débuté en Haïti et des dizaines de milliers de personnes profitent des trois jours gras pour apprécier les nouveaux tubes de leurs musiciens préférés et se défouler en oubliant les polémiques que l'immense fête ne manque jamais de créer.
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Sous un soleil de plomb, les troupes de danseurs ont défilé dimanche après-midi sur la place du Champ de Mars. Au cours de la nuit, la foule envahit l'immense espace pour suivre les chars musicaux, depuis la rue ou en hauteur, ou des stands que les ouvriers finissaient de peindre. Le calendrier est connu de tous mais le carnaval s'organise toujours dans une certaine précipitation qui va crescendo jusqu'aux minutes précédant le défilé. Et bien qu'il soit le plus grand événement culturel national, chaque année est nommé un comité provisoire du carnaval pour gérer tant l'aspect financier qu'artistique.
Cette politisation du carnaval a décuplé depuis que Michel Martelly, alias Sweet Micky, la star du carnaval ces 20 dernières années, a effectué un mandat présidentiel de 2011 à 2016.
L'esprit carnavalesque de débauche et de liberté totale amuse une majorité et nombre de tubes composés pour l'occasion ne sont pas tendres avec les dirigeants ni envers la société.
"A travers toutes ces méringues, on peut avoir une vision globale de la situation du pays: c'est une Haïti qui souffre, une Haïti qui a ses problèmes politiques mais c'est aussi une Haïti qui fête et qui s'amuse", résume-t-il.
Alors qu'Haïti est l'un des pays les plus inégalitaires de la planète, le carnaval rassemble une foule de citoyens de toutes origines économiques et sociales. "Qu'on soit riche ou pauvre, définitivement on danse sur les chansons des mêmes
groupes, on apprécie les mêmes bandes de musiciens à pied", raconte Carel Pedre, qui se prend à rêver: "Si on s'unissait toute l'année comme on le fait pendant les trois jours gras, Haïti serait définitivement un pays déjà développé".
Un carnaval sans dettes ?
"Tous les ans, il y a des difficultés de planification mais tous les ans, on refait la même chose", reconnaît en souriant Emelie Prophète, la porte-parole du comité organisateur du carnaval 2018, mis sur pied il y a seulement deux mois. "La différence, cette année, est qu'on essaie de faire un carnaval sans dettes. Avant, on y allait dans les dépenses et il y avait toujours des fournisseurs qui n'étaient pas payés. Sauf que l'année suivante, ils ne voulaient plus travailler pour le comité. Or on a besoin d'eux, l'offre de services étant très limitée", explique Mme Prophète.#kanaval2018 : lundi est férié à partir de midi, les mardi 13 et mercredi 14 fériés dans leur intégralité (arrêté publié au journal officiel) #Haiti
— Amélie Baron (@Ameliebaron) 10 février 2018
'Carnaval très politique'
Cette improvisation profite au secteur politique qui, par la précarité de l'équipe organisationnelle, peut facilement influencer les plus importantes décisions, comme la liste des artistes retenus pour les défilés nocturnes. "Les groupes ténors sont choisis parce qu'ils participent au carnaval depuis des années. Ensuite, on essaie de sélectionner les méringues (musique traditionnelle haïtienne, Ndlr) les plus populaires, pour animer le parcours. Après, forcément, il y a l'intervention des politiques pour tel ou tel groupe. Le carnaval est très politique", confie avec regret Emelie Prophète.Cette politisation du carnaval a décuplé depuis que Michel Martelly, alias Sweet Micky, la star du carnaval ces 20 dernières années, a effectué un mandat présidentiel de 2011 à 2016.
Martelly controversé
Pour l'édition 2018, la participation du groupe de Michel Martelly a cristallisé les passions. Sa légendaire attitude grivoise et sa propension à insulter ceux ayant critiqué sa politique a poussé deux villes de province à le bannir de leurs défilés. Malgré les requêtes de certaines organisations féministes, l'ancien président va défiler sur le parcours sur l'immense place du Champ de Mars, au coeur de la capitale.Champ de Mars komance mu. #Haiti #Carnaval2018 pic.twitter.com/ZZHPNDomAt
— Frantz Duval (@Frantzduval) 11 février 2018
L'esprit carnavalesque de débauche et de liberté totale amuse une majorité et nombre de tubes composés pour l'occasion ne sont pas tendres avec les dirigeants ni envers la société.
Riches et pauvres réunis
"Le carnaval c'est ça: on dit tout ce qu'on veut", affirme Carel Pedre. L'animateur gère un site internet et une application mobile sur lesquels il compile toutes les méringues carnavalesques qu'on lui envoie. L'édition 2018 recense déjà plus de 800 titres. "On a reçu beaucoup de méringues carnavalesques qui parlent du dossier Petrocaribe, de corruption. Ca parle aussi du grand problème que l'on a avec les déchets. Et il y a même une méringue des plus populaires qui parle du mauvais comportement de nos chefs dans leurs voitures, avec les sirènes", rigole Carel Pedre."A travers toutes ces méringues, on peut avoir une vision globale de la situation du pays: c'est une Haïti qui souffre, une Haïti qui a ses problèmes politiques mais c'est aussi une Haïti qui fête et qui s'amuse", résume-t-il.
"Qu'on soit riche ou pauvre"
Véritable catharsis, cette soudaine avalanche de chansons est aussi symptomatique de la crise que connaît le secteur musical haïtien. Pour Carel Pedre, cela s'explique par le fait qu'"il n'y a pas d'autres vitrines de promotion, en particulier pour les jeunes talents". "On n'a pas de cérémonie de remise de prix, on n'a pas de grands festivals de musique nationale, donc tout le monde veut se faire connaître pendant le carnaval".Alors qu'Haïti est l'un des pays les plus inégalitaires de la planète, le carnaval rassemble une foule de citoyens de toutes origines économiques et sociales. "Qu'on soit riche ou pauvre, définitivement on danse sur les chansons des mêmes
groupes, on apprécie les mêmes bandes de musiciens à pied", raconte Carel Pedre, qui se prend à rêver: "Si on s'unissait toute l'année comme on le fait pendant les trois jours gras, Haïti serait définitivement un pays déjà développé".