Ce que le procès de "mamie djihad" a permis d'apprendre sur son fils, un "émir" de l'Etat islamique

Christine Rivière, pendant son procès à Paris, le 6 octobre 2017.
Surnommée "mamie djihad", Christine Rivière, la mère d'un "émir" djihadiste, a été condamnée, vendredi 6 octobre, à dix ans de prison par le tribunal correctionnel de Paris. Ce procès a permis d'en apprendre davantage sur son fils, Tyler Vilus.
Bien qu’il soit absent de ce procès, emprisonné à l’isolement à Réau, l’ombre de Tyler Vilus a plané sur la salle d’audience durant ces deux journées. Au terme de ce procès, la mère de cet "émir" de l’Etat Islamique, Christine Rivière, 51 ans, surnommée par les enquêteurs "mamie djihad", a été condamnée, vendredi 6 octobre, à dix ans de prison (la peine maximale) pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes terroristes.

Trois séjours en Syrie, un "engagement sans faille" sous la bannière de l'organisation Etat islamique, une contribution "à la logistique" du groupe et "au départ de plusieurs jeunes femmes" : le tribunal correctionnel de Paris a suivi les réquisitions du parquet. Cheveux châtains, lunettes posées sur la tête, Christine Rivière encaisse.

Abdallah

Elle s'est convertie au jihad par amour pour son fils avec qui elle entretenait une relation fusionnelle. Né d'un père évangéliste guadeloupéen, Tyler Vilus est un pionnier des filières françaises en Syrie. "Emir" de l'Etat islamique, il a été arrêté en 2015 en Turquie. Soupçonné d'avoir connu en Syrie des membres de la cellule qui a commis les attentats du 13 novembre 2015, Tyler Vilus est incarcéré en France. En attendant son procès, celui de Christine Rivière a déjà permis d'en apprendre davantage sur la personnalité de celui que sa mère appelle désormais "Abdallah".
 
Palais de justice de Paris.
 

Un père évangéliste guadeloupéen

Tyler Vilus est né en 1987 dans une famille modeste. Sa mère, fille de forains, travaille depuis l'âge de 16 ans. D'abord à l'usine "pour trier des chaussettes", puis dans la restauration et dans un institut pour handicapés mentaux en tant que surveillante de nuit. Tyler Vilus a déjà un grand frère, Leroy, né en 1984 d'un père martiniquais, parti avant sa naissance.
 
Le père de Tyler lui est un évangéliste guadeloupéen. "Oui, il était radical dans sa religion", reconnaît Christine Rivière au premier jour de son procès. "Il me disait que j'étais le diable en personne, car il sentait que je n'adhérais pas". Son fils, Leroy raconte qu'avec ce beau père "les coups" et les "insultes" pleuvaient sur lui et son frère. Trois ans après la naissance de Tyler, Christine Rivière "le met à la porte".
 

La maladie de Crohn

Seule à élever ses enfants à Troyes, Christine Rivière travaille pour un maigre salaire, "c'était compliqué". En larmes dans le box des accusés, elle évoque la maladie de Crohn de son fils, Tyler, durant l'enfance, les mois à l’hôpital, l’inquiétude.
 
A la barre, cité comme témoin, Leroy, le frère aîné, confirme : "Maman se faisait tout le temps du souci pour lui. Enfant, mon frère a souffert, mais ma mère a atténué beaucoup de ses souffrances". Adolescent, Tyler fait dix ans de capoera. "Il a même été champion ! Nous étions très proches", raconte son frère. (Regardez ci-dessous l'interview de Leroy Rivière).

Leroy, frère de Tyler Vilus au procès de sa mère, le 5 octobre 2017.
 

La conversion

A 21 ans, Tyler passe des tests pour rentrer dans la légion étrangère. "Il avait des dread locks et un look rasta, décrit Leroy. Il a réussi les tests, mais au dernier entretien il a dit qu'il fumait du cannabis. Forcément, ils ne l'ont pas gardé". Cette année-là, en 2011, Tyler suit une formation dans les travaux publics à Paris. "Il voulait conduire des pelleteuses", raconte son aîné. Durant cette formation, un camarade lui confie le Coran. Il le lit en trois jours, rentre à Troyes, se coupe les locks et change de comportement.
 
Titulaire d'un CAP, d'un BEP et d'une licence, Leroy a toujours travaillé, notamment comme agent de sécurité. Père de deux enfants, il revit dans le tribunal le film de ces dernières années. "J'ai toujours eu peur qu'on m'appelle un jour pour me dire que ma mère est morte sous un bombardement ou que mon frère s'est fait tuer, j'avais peur aussi ce matin en me levant parce que je ne savais pas ce que j'allais apprendre aujourd'hui", lâche-t-il. Son frère, il l'a vu changer :
 

"Il était rentré dans son délire, je savais que je l'avais perdu".


 

 

La Tunisie

En juillet 2011, trois mois seulement après sa conversation, Tyler Vilus part s'installer en Tunisie. Sa mère le rejoint. Christine Rivière rêvait de vacances pour "profiter". Elle avait pensé à un voyage en Inde. Elle finit par suivre son fils en Tunisie où elle se sent "bien". "La vie là-bas était agréable", murmure-t-elle. En mars 2012, encouragée par son fils, elle se convertit à l'islam, tendance radicale. Christine Rivière porte le voile intégral et adopte la charia. Comme son fils, elle est finalement déçue par la Tunisie, "une petite France où l'on ne peut pas pratiquer l'islam comme on veut", dira-t-elle lors d'une audition.
 
Son fils, Tyler Vilus fait déjà partie des pionniers du djihad. Le 24 mars 2013, il part s'installer en Syrie. Devant le tribunal, l'aîné explique : 

"Mon frère est têtu, j'ai essayé de l'en dissuader, je n'ai pas réussi. On n'arrivait plus à se comprendre"


 


En Syrie

Christine Rivière le rejoint à trois reprises en Syrie entre 2013 et 2014. "Pour le voir, parce que je n'avais pas le choix, je l'aime. Je savais qu'il ne reviendrait pas", souffle-t-elle au procès. En Syrie, Christine Rivière prête allégeance à l'Etat islamique, pose avec des armes, tire avec un fusil à pompe dans une vidéo, et épouse un combattant de l'Etat islamique. Sur son profil Facebook, des images de décapitation et de crucifixions, "pour montrer ce qui se passe là-bas", tentera-t-elle d'expliquer.
 

Emir de l'Etat islamique

En Syrie, Tyler Vilus gravit rapidement les échelons. Il côtoie de futurs cadres de l'Etat Islamique. Lorsqu'il annonce dans un message à sa mère qu'il est devenu "Emir" de l'EI, elle répond : "je savais que tu monterais, tu es fait pour ça".  "Pourquoi vous lui dites ça ?", interroge la présidente lors du procès. "Parce qu'il a toujours fédéré autour de lui", répond la mère. "Vous saviez qu'il faisait partie de la police islamique ?" "Non, on ne parlait pas de ça", ajoute celle qui ne dira que très peu de la vie en Syrie. "Et qu'il veuille mourir en martyr ? " "Ça ne me rendait pas heureuse vraiment, mais c'est ce qu'il voulait".
 
En Syrie, Tyler Vilnus aurait aussi été proche de la "brigade des immigrés", considérée comme "la cellule souche" des attentats de Paris. Une cellule par laquelle sont notamment passés, Abaaoud, Nemmouche, ou encore Najim Laachraoui. En mars 2014, Tyler Vilus publie sur Facebook une vidéo d'Abaaoud traînant des corps derrière un pick-up. Le 26 mars, il se félicite de l'attentat du Musée juif de Bruxelles, perpétré par Mehdi Nemmouche. Un mois plus tard, il tweet : "comme une envie de tuer des juifs".
 

Plusieurs épouses

Entre ses séjours en Syrie, depuis la France, Christine Rivière trouve des épouses à son fils, via les réseaux sociaux. Elle conseille des jeunes filles pour rejoindre la Syrie sans se faire arrêter. "Je n'ai encouragé personne à partir", répétera-t-elle au procès. Son fils aurait eu trois épouses en Syrie, mais elle est ne sait pas combien elle a de petits-enfants.
 
"Tout ce que j'ai fait, c'était par rapport à mon fils", affirme cette mère en pleurs. A la barre, son fils Leroy va dans le même sens : "Ma mère s'est perdue dans ce truc. L'amour qu'elle avait pour Tyler l'a conduit à faire ces choses-là. Ils ont utilisé ses faiblesses. Ma mère n'est pas une terroriste ".

Situé à Réau (77), le centre pénitentiaire sud francilien dispose d'une capacité d'accueil de près de 800 places.
 

A l'isolement

Arrêté en juillet 2015, en Turquie, Tyler Vilnus est incarcéré à la prison de Réau, placé à l’isolement depuis un an et demi. Mis en examen pour "direction d'une organisation terroriste" en juillet 2017, son dossier est à l'instruction. Il encourt trente ans de prison. Son frère, Léroy, lui a rendu visite au parloir pour la dernière fois il y a trois mois et demi.

"Quand je le vois, il ne parle pas de religion. On a parlé foot, musique, il m'a demandé des CD de rap, je le retrouve comme avant. Il est sorti du délire, je le sens".