Chronique du nickel : à Londres, le métal calédonien échappe à la morosité ambiante

Traders du nickel devant le London Metal Exchange
Les principaux acteurs du monde des métaux et des matières premières étaient à Londres pour la plus grande réunion annuelle de l’industrie minière (LME Week.) Mais il n’y avait pas grand-chose à célébrer. Sauf la progression du nickel, la bonne nouvelle de 2019.
 
Il est 19 h 30, heure de Londres. La bière coule à flots dans les pubs de la City. Cette semaine est particulière c'est la LME-Week. Les "seigneurs des matières premières" fêtent le temple du commerce qu'est la Bourse des métaux de Londres. Traders et analystes viennent recouper des informations avant d’établir leurs prévisions futures des cours du nickel ou du cuivre, de l’étain ou du plomb. Dans cet univers en éveil, un écran est toujours allumé sur les tableaux de chiffres délivrés par Bloomberg, le Metal Bulletin ou Reuters. Comme une fenêtre sur le monde, on y lit le cours des métaux, on y décrypte les signes avant-coureurs des grands soubresauts de l'économie mondiale. "Autant dire que l'on doit prévoir l'avenir et c’est impossible, tout dépend d’un éventuel accord commercial entre la Chine et les Etats-Unis", disent entre eux les financiers.

Petite surprise indonésienne
L’Indonésie a tout de même créée la surprise en annonçant un embargo immédiat sur ses exportations de minerai de nickel. Dans l’immeuble de verre opaque qui abrite désormais la Bourse des métaux de Londres on s’y attendait, mais pas si tôt, début janvier. En fait, les traders et les analystes qui les conseillent ont gardé leur calme, ils avaient eu le temps d’anticiper la nouvelle donne indonésienne, de l’intégrer à leurs prévisions.
L’un d’eux réagit : "L’Indonésie veut des usines pour transformer son minerai chez elle pas en Chine et elle va les obtenir, du reste elle exporte déjà de la fonte de nickel." Et puis, le marché peut se fournir ailleurs, aux Philippines, en Australie, mais aussi en Nouvelle-Calédonie qui a le minerai le plus recherché par les fonderies chinoises. Pas de panique, Geordie Wilkes, responsable de la recherche chez Sucden Financial le confirme : "Nous avions envisagé un prix du nickel à 19 000 dollars la tonne au quatrième trimestre de 2019, mais c’est trop haut. Le vent de panique qui a entouré l’interdiction d’exportation du minerai indonésien s’est dissipé. En fait, d’autres producteurs peuvent assurer des livraisons suffisantes en Chine. Oublions l’idée d’une nouvelle flambée des prix. Pour le moment." Toujours à Londres, Suzanne Bates, une analyste de la banque américaine Morgan Stanley, résume assez bien l’opinion dominante : "La baisse rapide des stocks mondiaux de nickel crée de l’incertitude et des prix solides. Oui, une hausse des prix est probable, mais nous restons prudents. L’offre est encore moins importante que la demande, mais la principale interrogation concerne la croissance du marché des véhicules électriques."

Des prévisions positives
À Londres, on continue de spéculer, même si on préfère utiliser le verbe analyser. Quel que soit le terme employé, prévoir les prix du nickel n’est pas une mince affaire. Les maisons de négoce et les analystes ne sont pas d’accord entre eux. La société de courtage britannique Sucden Financial estime désormais le nickel entre 15.800 et 18.500 dollars la tonne, pour le dernier trimestre de 2019. Une fourchette suffisamment large pour ne pas prendre de risques. Sur les bords de la Tamise, on se rassure comme on peut. On constate que le prix du nickel à trois mois a déjà progressé de 8.320 dollars la tonne cette année. Il affichait 10.520 dollars la tonne, le 2 janvier avant de flamber et d’atteindre 18.850 dollars, le 2 septembre rappelle Amy Hinton du Metal Bulletin. De leur côté, les experts de Fastmarkets envisagent un scénario autour de 16.250 dollars par tonne au quatrième trimestre, proche du prix actuel. Pour le moment, le nickel a donc grimpé de 40 % par rapport à la même période de 2018. Pas si mal, mais peut mieux faire, selon BMO Research : "Il y a un déficit mondial de nickel et les prix pour le deuxième trimestre de 2020 devraient atteindre en moyenne 18 % de plus que les prix actuels."

Sauf que
Les incertitudes pèsent. Le feuilleton sans fin de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine favorise la spéculation et l’apparition de "stocks fantômes" échappant aux circuits officiels. "Je ne serais pas surprise que le prix baisse. J’ai le sentiment que la moyenne des prochains mois avoisinera les 15.000 dollars la tonne", pondère Liz Grant, courtier principale à Sucden Financial. En tout cas, ce jeudi soir le nickel baisse un peu. L’annonce d’un transfert de 15.000 à 30.000 tonnes de métal pur (cathodes) des entrepôts chinois vers ceux du LME en Asie du Sud-Est, apparaît comme un micmac difficilement lisible visant à faciliter des arbitrages et surtout à éviter des pertes aux opérateurs.

Enfin, la  LME-Week s’est terminée sur une note défavorable incitant à la morosité. Le second constructeur mondial d’équipements miniers, le japonais Komatsu a annoncé une baisse de 36 % de ses bénéfices. De quoi assombrir un peu la traditionnelle soirée de gala du LME. "En tout cas, un sentiment négatif domine pour les métaux, sauf pour le nickel" observe Alastair Munro, l’analyste de Marex Spectron. "Si je devais exprimer un ressenti, je dirai que le conflit commercial entre la Chine et les Etats-Unis occupe tous les esprits, le reste n’a que peu d’importance."

Volubile descendance que celle du verbe latin Tradere. À l’origine des mots "tradition" et "trahison", il a aussi donné le terme anglais "trade"  qui veut dire (« commerce ») en français. Soit le point de convergence exact de la Bourse des métaux de Londres avec le nickel. La Nouvelle-Calédonie est le berceau mondial de cette industrie née au XIXe siécle et qui occupe encore une place de choix dans le commerce international et la finance mondiale.

Cours du nickel au LME à 17H40 GMT 16.725 dollars par tonne -0,39 % (7,58$/l)