Au nom de la mer: le tribunal international du droit maritime des Nations Unies est saisi à partir de lundi par des nations insulaires qui exigent une accélération de la lutte contre le changement climatique, qui bouleverse les océans. L'audience doit déterminer si les gaz à effet de serre doivent être considérés comme de la "pollution marine" au sens de la Convention de l'ONU sur les droits de la mer, protégée par cette cour basée à Hambourg en Allemagne.
Une telle classification imposerait juridiquement aux 157 États ayant ratifié ce traité de prendre davantage de mesures législatives contre le réchauffement climatique. Les représentants des nations requérantes (Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Niue, Palaos, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Tuvalu et Vanuatu), et de 34 autres parties signataires, notamment la France ou l'Allemagne, seront auditionnés, avant un verdict attendu en 2024.
"Injustice"
Avec cette procédure débutée fin 2022, ces États insulaires, dont l'existence est menacée par la montée des eaux, entendent imposer aux pays pollueurs d'accélérer la lutte contre le réchauffement climatique. "Sans une action rapide et ambitieuse, le changement climatique pourrait empêcher mes enfants et petits-enfants de vivre sur l'île de leurs ancêtres, notre maison", déclare le Premier ministre d'Antigua-et-Barbuda, Alfonso Browne. "Nous ne pouvons pas rester silencieux face à une telle injustice", a-t-il ajouté.
Pour ce faire, ils veulent convaincre le tribunal que les émissions de gaz à effet de serre entrent dans la catégorie de la "pollution marine", encadrée par les traités.
La Convention impose en effet aux États signataires de "prendre des mesures pour prévenir, réduire et contrôler la pollution du milieu marin, ainsi que protéger et préserver cet environnement".
Est une "pollution marine" toute "introduction par l'homme, directement ou indirectement, de substances ou d'énergie dans le milieu marin (...) qui entraîne ou est susceptible d'entraîner des effets délétères", selon ce texte. Une description qui s'applique en l'espèce, selon les requérants.
"Des écosystèmes marins et côtiers entiers meurent actuellement, en raison du réchauffement et de l'acidification des eaux", selon le Premier ministre de Tuvalu, Kausea Natano. "La science est claire et incontestée: ces impacts sont le résultat du changement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre", a-t-il ajouté. Une telle qualification aurait un fort impact. "Le tribunal international du droit de la mer est très respecté. Cela influencera l'interprétation de la Convention par tous les tribunaux nationaux", explique à l'AFP Hannah Craft, porte-parole du collectif.
800 000 ans
"Si cette affaire aboutit, les pays devront prendre des mesures sérieuses pour les émissions de GES (gaz à effet de serre, NDLR) qui causent la pollution des océans", assurent les États requérants dans un communiqué. Les mers subissent de plein fouet le changement climatique. Près de 60% de la surface océanique mondiale a connu au moins une chaleur marine en 2022, selon un rapport des autorités américaines. Cela représente 5 % de plus que les niveaux préindustriels et s'agit du niveau "le plus élevé dans les enregistrements atmosphériques modernes et dans les archives paléoclimatiques remontant à 800 000 ans", note-t-il.
Ces dernières années, les actions en justice contre l'inaction climatique des gouvernements ont explosé, réussissant parfois à influencer les politiques climatiques. Le nombre d'affaires judiciaires liées au climat a doublé dans le monde entre 2017 et 2022, selon l'ONU-Environnement et les chercheurs du Sabin Center for Climate Change Law de l'université de Columbia.
En septembre 2023, la base de données du Sabin Centre répertorie plus de 2.500 affaires dans le monde, dont plus de 1.600 aux Etats-Unis. Les tribunaux internationaux sont de plus en plus mobilisés. En mars, l'Assemblée générale de l'ONU a fait une demande à la Cour internationale de justice (CIJ) pour clarifier les "obligations" des Etats en matière de changement climatique, suite à une demande du Vanuatu, petite île d'Océanie particulièrement vulnérable à la montée des eaux.
En janvier, la Colombie et le Chili ont sollicité un avis de la Cour interaméricaine des droits de l'Homme sur les obligations étatiques en matière de lutte contre l'urgence climatique, au regard du droit international des droits humains.