Comment Maryse Condé est devenue écrivaine ?

Extrait du documentaire "Maryse Condé, la liberté d'écrire" de Stéphane Correa ©Bérénice Médias Corp.
Les livres de Maryse Condé racontent l'esclavage, le colonialisme, les migrations, l'exil et le racisme. Née en Guadeloupe, la jeune femme vit quelques années à Paris puis s'installe en Afrique, où elle enseigne. Le documentaire "Maryse Condé, la liberté d'écrire" raconte le premier tiers de sa vie, cette "vie avant d'écrire" dont l'autrice guadeloupéenne a fait le matériau brut de son œuvre.

Xavier Luce, chercheur en littérature et coauteur du documentaire propose un voyage initiatique : "un voyage ou le vrai et l'imaginaire se confond, où la grande Histoire se mêle avec une autre histoire plus intime. Une histoire qui a le goût de l'enfance, des amours perdues, de cette quête éperdue de soi et de cette part d'ombre et de lumière qu'il faut finir par accepter."

Xavier Luce, coauteur et narateur du documentaire "Maryse Condé, la liberté d'écrire"

Le film de Stéphane Corréa propose trois escales, trois lieux comme autant de jalons sur le chemin de l'écriture : la Guadeloupe, la capitale française et l'Afrique.

Regardez en intégralité le documentaire "Maryse Condé, la liberté d'écrire"

Pointe-à-Pitre : l'enfance et l'adolescence

La Guadeloupe a vu naître Maryse, le 11 février 1934. Elle y passe son enfance, petite dernière d'une fratrie de 8 enfants. Sa mère Jeanne Quidal est l'une des premières institutrices noires du territoire. Son père Auguste Boucolon, est un des fondateurs de la Banque Antillaise. La famille appartient à la petite bourgeoisie noire de l'île qu'elle surnomme les "Grands Nègres". À la maison on parle français, le créole est interdit comme à l'école.

Auguste et Jeanne Boucolon

Paris : la vie d'une jeune étudiante

Maryse quitte son île natale, bac en poche à 19 ans. Elle trouve à Paris une liberté qu'elle n'avait pas en Guadeloupe. Elle y découvre aussi, avec surprise, le racisme.

Tous les jeunes intellectuels qui arrivent à Paris depuis les années 30 pour Césaire, les années 20 pour Senghor, découvrent exactement la même chose. [...] Ce qu'on ne nous a pas enseigné : le racisme. Ce choc là, qui est celui de tous les intellectuels noirs vivant en France, est aussi celui de Maryse Condé. C'est exactement le même. Ce sont des bourgeois qui découvrent qu'ils sont nègres.

Romuald Fonkoua

Maryse Condé, la liberté d'écrire

À Paris, Maryse lit pour la première fois la prose du Martiniquais Aimé Césaire, grâce à Françoise, fille de l'historien marxiste Jean Brua, rencontrée en hypokhâgne au lycée Fénélon. La jeune étudiante rencontre Jean Dominique, étudiant haïtien en agronomie. Son premier amour lui fait connaître l'histoire de son pays Haïti, celle de la première République Noire du monde et de ses héros Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines, le vainqueur de Napoléon Bonaparte. Le couple fréquente la librairie Présence africaine à Saint-Germain des Prés. Maryse tombe enceinte, Jean Dominique repart à Haïti, la laissant seule à Paris, "ne parvenant pas à croire qu'un homme m'avait abandonnée avec un ventre".

Conakry : terre de ses premiers romans

En Afrique, avec sa licence de lettres, elle part enseigner le français en Côte d'Ivoire puis à Conakry en Guinée, pays indépendant depuis 1958. Elle y rejoint son mari Mamadou Condé. Trois filles naissent : Sylvie-Anne, Aïcha et Leïla. Denis, fils de Jean Dominique, est adopté par le comédien guinéen. Lors du deuil national décrété par Sékou Touré à la mort de Franz Fanon, Maryse redécouvre Peau noire, masques blancs qu'elle a lu à Paris mais pas compris. Les damnés de la terre "furent une révélation dont je ne sortais pas indemne" écrit l'autrice guadeloupéenne. En 1964, Maryse Condé s'envole avec ses 4 enfants vers le Ghana. Plus tard, la famille monoparentale s'installe à Dakar au Sénégal, où elle rencontre le Britannique Richard Philcox, qui devient son deuxième mari en 1981 et le traducteur de toute son œuvre.

Un écrivain a deux vies : une vie rêvée et une vie réelle. Je rêve beaucoup. C'est plus important que la réalité.

Maryse Condé

Entretien RFI, septembre 2019

Maryse Condé écrit en Afrique son premier roman publié Hérémakhonon. L'écrivaine a 42 ans. Elle a trouvé le chemin de la liberté.

Hérémakhonon, premier roman oublié de Maryse Condé. Ici en poche aux éditions 10-18

Un documentaire écrit par Stéphane Correa et Xavier Luc
Réalisation Stéphane Correa 
Production Bérénice Médias Corp. avec la participation de France Télévisions
Durée 52 minutes - © 2023

Retrouvez tous nos contenus en hommage à Maryse Condé décédée dans son sommeil le 2 avril 2024.

Maryse Condé en quelques titres

Hérémakhonon, Paris, UGE, 1976

Ségou, les murailles de terre, suivi de Ségou, la terre en miettes, Paris, Robert Laffont, 1984-1985

Moi, Tituba, sorcière noire de Salem, Paris, Mercure de France, 1986

Victoire, les saveurs et les mots, Paris, Mercure de France, 2006

La Vie sans fards, Paris, Éditions JC Lattès, 2012

Le fabuleux et triste destin d’Ivan et Ivana, Paris, Éditions JC. Lattès, 2017

L'Évangile du Nouveau Monde, Buchet-Chastel, 2021

Ses distinctions

  • 2001  : Commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres
  • 2004  : Chevalier 
  • 2007  : Commandeure
  • 2011  : Grande-officière 
  • 2014  : Officière de la Légion d'honneur 
  • 2018  : Lauréate du Prix Nobel alternatif pour la littérature
  • 2019  : Grand-croix de l'ordre national du Mérite