Condamné à perpétuité en Finlande, un Antillais demande son transfèrement en France

Recueillement à Porvoo, en Finlande, le soir de l'infanticide
Le fait divers avait bouleversé la Finlande : en 2017, un Antillais tuait sa fille de trois ans de plusieurs coups de couteau à Porvoo. Condamné à la perpétuité pour meurtre, Mathieu C. a vu sa peine confirmée en 2019. Nous l'avons joint dans le quartier de haute sécurité de la prison d'Helsinki.

C’est un lundi de novembre au ciel chargé, aux températures qui frôlent le zéro degré, dans une petite ville à 50 kilomètres d’Helsinki. C’est ici que vit Madison, issue de l’union d’une Finlandaise et d’un Antillais. La fillette de trois ans habite avec sa mère depuis la séparation de ses parents, qui tentent de régler leurs différends au tribunal. Mathieu C. veut la garde alternée, quand son ex-compagne a déposé une ordonnance restrictive à son encontre. "En Finlande, si vous avez un enfant sans être marié, en tant qu'homme, vous n'avez aucun droit, raconte-t-il au téléphone. Je suis parti avec ma fille en Guadeloupe en vacances, sa mère a parlé de kidnapping alors qu'elle savait que je prévoyais ce voyage depuis un an et demi. Elle me faisait du chantage affectif : si tu fais ça, tu auras ça. Et quand je faisais les choses, elle refusait ce qu'elle me promettait."

Meurtre ou assassinat

Ce lundi 13 novembre 2017, Mathieu C., né en région parisienne d'une mère guadeloupéenne et d'un père martiniquais, emmène Madison sur une aire de jeux et la poignarde à plusieurs reprises. Elle succombera à ses blessures. Son logeur lui ayant demandé de quitter les lieux le matin même, il a ses affaires personnelles avec lui. "Je ne me rappelle pas avoir pris l'arme. C'est très trouble, je n'ai aucune image à vous donner. Je remettais un jouet dans ma sacoche, j'ai vu la police, et après ça je n'ai rien en mémoire. De ce moment là, jusqu'à ce que je sois en prison, je me rappelle seulement d'une grande douleur que j'ai associée au passage des menottes." Le couteau dans le sac de Mathieu C. fera dire aux enquêteurs qu'il y a préméditation. "Ma fille aînée fête son anniversaire le 15 novembre. Même si elle était prise en charge par les services sociaux, je n'ai jamais voulu traumatiser ma fille, il n'y avait rien de prémédité. Je voulais passer la matinée avec ma fille (Madison) et l'emmener à la crèche l'après-midi."

Au moment des faits, à 39 ans, Mathieu C. est au chômage. Pour s'intégrer dans la société finlandaise, il a été jusqu'à cumuler trois emplois : livreur de journaux, homme de chambre dans un hôtel et agent d'entretien d'un immeuble. Quelques semaines avant, il lui arrive d'avoir des absences : "J'ai senti mon âme sortir de mon corps, je ne contrôlais plus mes mouvements, je me voyais d'au dessus, d'un point de vue extérieur." Au procès, la défense le décrira comme dépressif, victimes d'attaques de panique et de pensées suicidaires. Au téléphone, il parle des "évènements" ou de "l'acte criminel", n'emploie jamais le mot couteau ou le verbe poignarder, ne prononce plus le prénom de sa fille.

"Comme si c'était hier"

Sa voix perd en intensité quand on l'interroge sur les faits. "Il n'y a pas une journée où je ne pense pas à ce jour là. On me demande d'avancer dans la vie, mais quand on est en prison on ne peut pas se reconstruire. On est toujours sur l'évènement qui nous a emmené à l'endroit où on est. Pour moi c'est comme si c'était hier. Tous les jours ou tous les deux jours je m'interroge sur ce qui a déclenché, qu'est ce qui a fait, pourquoi comme ça ? Je ne sais pas. Je ne peux pas rejeter la faute sur mon ex, j'ai posé l'acte qui a défini la fin d'une vie et qui m'a mis dans cette situation. On ne sait pas ce qui va nous faire craquer, mais je suis seul reponsable." Mathieu C. a demandé où sa fille était enterrée. "On refuse de me donner l'information. J'ai demandé à sortir pour me rendre sur sa tombe et poser mes grâces et ça m'a été refusé."

Le quotidien sous haute sécurité

En prison, Mathieu C. bénéficie d'une séance mensuelle de psychotérapie. Mais il a la sensation d'être jugé par la thérapeute et ce travail ne semble pas beaucoup l'aider. "J'essaie d'aller mieux, c'est pas facile tous les jours. J'ai des difficultés à dormir et émotionnellement je suis décalé : je ne contrôle pas à 100% ce que je ressens... C'est compliqué." La cohabitation en Anglais et en Finnois avec sept autres détenus n'est pas évidente, et l'Antillais a décidé de ne plus répondre aux tentatives de communication du premier tueur en série finlandais Michael Penttilä, depuis qu'il l'a traité de "black macaque". "Normalement on a une heure dans la semaine où on peut aller à la salle de gym, mais depuis le Covid c'est interdit. La promenade est autorisée, une heure par jour. Les détenus du quartier de haute sécurité n'ont pas le droit de travailler, mais j'ai réussi à mettre en place un système de roulement pour le ménage et la cuisine. Cela nous donne de l'argent supplémentaire pour la nourriture et les coups de fil."

Discrimination

Les conditions d'incarcération s'améliorent-elles ? Mathieu C. se sent discriminé, malgré deux changements d'établissement. "Oui et non. Ils finissent par m'entendre parce que des fois je me plains beaucoup pour avoir ce que je devrais avoir. J'écris mes mémoires d'une certaine façon : dès qu'il se passe un incident contre moi, je le mets par écrit. C'est une multitude de petites choses qui sont agaçantes, car je vois que les autres arrivent à avoir plus de choses. Est ce que c'est à cause de ma couleur, de mon crime ? Je ne sais pas. Mais aujourd'hui en prison, je vois le racisme, je vois (la différence entre) Noir et Blanc." Sans accès à sa boîte mail ou à un compte en banque, il n'a pas de famille en Finlande et ne reçoit pas de visite. Ses demandes de sortie pour régler sa situation administrative lui ont été refusées.

En attente d'un transfèrement

Depuis 2018, Mathieu C. espère être transféré en France. Il a attendu 2020 pour en faire la demande, sur conseil des autorités. "J'ai rencontré un responsable de la prison d'Helsinki qui m'a dit que cela pouvait prendre six mois... Et vu que je n'avais pas de nouvelle, j'ai contacté l'ambassade de France en Finlande. On me répond qu'il n'y a aucun avocat affilié à mon dossier de transfèrement, et que tant qu'il n'y en aura pas ça restera bloqué. D'une certaine manière, l'État finlandais n'a pas envie de me faire bouger. J'espère que je partirai cette année. Cela me permettrait d'être avec des Français, de mieux communiquer et d'avoir des visites de mes proches. Le reste est accessoire." L'Antillais a pris contact avec les services du Défenseur des droits. Il ne s'attend pas à bénéficier d'une remise de peine à son arrivée en France. Avec la peine de sûreté, il serait libérable en 2039.