Selon un rapport du GIEC, le groupe international des experts pour le climat, les récifs coralliens pourraient disparaître d’ici à la fin du siècle. Pour les spécialistes des coraux, la réalité est plus complexe mais guère rassurante.
Cécile Baquey•
La COP25 sur le climat s’est ouverte à Madrid lundi 2 décembre 2019. Arrivée vendredi 6 décembre, Greta Thunberg, l’égérie du combat contre le réchauffement climatique a participé à une grande marche dans la capitale espagnole. Son mot d’ordre : "Les discours ne suffisent plus".
►Dégradation des récifs
Les faits lui donnent raison. Dans les Outre-mer que ce soit en Nouvelle-Calédonie qui possède la deuxième plus grande barrière de corail au monde après l’Australie, à Mayotte ou en Martinique, on assiste en direct à la dégradation des récifs coralliens. "Depuis les années 80, des épisodes de blanchissement interviennent régulièrement et affaiblissent les coraux, déplore Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche CNRS au Laboratoire d'océanographie de Villefranche. Les récifs coralliens, c’est l’écosystème le plus menacé actuellement par le réchauffement climatique".
La France qui abrite 10% des récifs coralliens au monde grâce aux collectivités d’Outre-mer a une lourde responsabilité. La France est le 4e pays corallien au monde. Mais le réchauffement climatique ne connaît pas les frontières et la ceinture tropicale subit les assauts de ce changement. Globalement la température de l’Océan grimpe et ce n’est pas une bonne nouvelle pour les coraux qui ne peuvent pas se déplacer contrairement aux poissons.
Serge Planes, directeur scientifique de l’expédition Tara Pacific constate que même dans les zones préservées comme la Polynésie, les coraux sont soumis à rude épreuve. "L’an dernier à Moorea, sur 70% des colonies blanchies, la moitié est morte. L’autre moitié est parvenue à récupérer". En peu de temps, le récif si préservé de Moorea s’est vu amputé d’une grosse partie de ses coraux.
"Pendant longtemps, les épisodes de blanchissement étaient liés au phénomène El Niño ", estime Serge Places, directeur du CRIOBE. El Niño est un phénomène climatique à grande échelle qui perturbe principalement le Pacifique, mais aussi toute la ceinture tropicale ainsi que le continent américain.
Il se caractérise par une énorme masse d’eau chaude qui se déplace vers l’est de l’Océan Pacifique au large de l’Amérique latine. Il perturbe le régime des vents, des précipitations et bien sûr la température de la mer.
Mais aujourd’hui en plus d’El Niño qui a lieu tous les 3 à 7 ans, les récifs coralliens sont soumis à "des systèmes de warm bloop" (bulles d’eau chaude) de quelques centaines de kilomètres carrés et à l’origine de blanchissements très circonscrits", souligne Serge Planes.
Ce phénomène est inquiétant car il suffit que la mer soit calme et qu’il n’y ait pas de vents pour que ces nappes d’eau chaudes fassent de sérieux dégâts sur les récifs coralliens. "C’est ce qui s’est produit cette année à Moorea", précise Serge Planes.
Menacé par la montée des eaux, la préservation de cet îlot est stratégique pour le Japon car il permet de maintenir sa ZEE, zone économique exclusive et donc tout simplement sa zone de pêche.
"La seule solution pour préserver Okinotori était biologique", explique Denis Allemand. Pour sauver l’îlot il a fallu restaurer sa barrière coralienne. Les Japonais ont donc produit des millions de boutures de coraux qu’ils ont réimplantés à Okinotori. Ils ont également rejeté dans les eaux de ces ilots des larves produites par fécondation in vitro pour un cout de 20 millions d’euros".
►Créer des espèces résistantes
L’intelligence humaine au service des coraux, c’est donc possible. Des chercheurs tentent de créer en laboratoire des espèces résistantes. Une sorte de course contre la montre est lancée. Denis Allemand n’est guère optimiste même si les recherches avancent : "pour beaucoup de collègues, le mécanisme d’adaptation des coraux est plus lent que la vitesse des changements climatiques actuelles, ce qui empêcherait toute adaptation. Mais d’autres solutions sont peut-être à envisager en dehors des mutations spontanées et de la reproduction qui font l’évolution normale. Nous venons par exemple de montrer que certaines espèces de coraux ont la capacité de s’acclimater rapidement en modifiant leur capacité à exprimer certains gènes, un mécanisme connu sous le nom de modification épigénétique. D’autre chercheurs ont démontré que cette capacité est même transmissible à la descendance".
Ce spécialiste des coraux salue toutes les initiatives et recherches qui visent à créer des coraux plus résistants. Actuellement les chercheurs s’inspirent par exemple des coraux de la mer rouge qui s’adaptent à des températures de l’eau particulièrement hautes.
►Un appauvrissement terrible
Tous les spécialistes des coraux que La 1ère a contacté s’accordent à dire que les coraux ne disparaîtront pas d’ici à la fin du siècle. Mais ils ne sont pas pour autant optimistes. "Très peu d’espèces arrivent à s’adapter, estime Pascale Chabanet, directrice de l’IRD à La Réunion, les récifs vont être transformés. Il y aura beaucoup de coraux massifs et beaucoup moins de coraux branchus qui permettaient aux petits poissons de se protéger. La biodiversité risque de chuter".
"La morphologie des récifs va changer et les services écosystémiques qu’ils rendaient comme la protection des côtés va également être modifiée", ajoute Denis Allemand. "Si l’on ne fait rien pour l’environnement, on va assister à une perte de biodiversité et des problèmes de ressources", insiste Pascale Joannot.
La plupart des spécialistes des coraux sont persuadés que les récifs ne vont pas disparaître totalement d’ici à la fin du siècle mais que l’on va assister à un appauvrissement terrible de ces récifs coralliens dont le nombre de poissons va considérablement se réduire.