Coronavirus : des vols mais pas de rapatriement, les Polynésiens bloqués dans l'Hexagone ne décolèrent pas

Boeing 787 Dremliner d'Air Tahiti Nui
"On a l'impression d'être des pestiférés" : quelques centaines de Polynésiens, bloqués en métropole depuis que les vols commerciaux sont suspendus avec Tahiti pour lutter contre l'épidémie de coronavirus, se sentent "oubliés" et attendent désespérément de pouvoir rentrer chez eux.
"Abandonnés", "sacrifiés", les mêmes mots reviennent chez ces "résidents de Polynésie coincés en métropole", réunis dans un collectif, et que la Délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'Outre-mer estime à 320. Tous sont bloqués depuis la décision du gouvernement polynésien et du Haut-commissariat (équivalent du préfet) il y a un mois de suspendre les vols internationaux pour éviter la propagation du virus dans l'archipel.     

"Il y a des vols"

Ils racontent des vols French Bee, Air Tahiti Nui, Air France annulés du jour au lendemain et un manque d'informations les laissant en plein désarroi. "C'est pas normal que la Polynésie ne sache pas faire comme la Nouvelle-Calédonie", qui rapatrie ses ressortissants, s'insurge Tamatoa Mischler, 62 ans. Ce masseur traditionnel à Tahiti se dit, comme ses compagnons d'infortune, "tout à fait d'accord" pour être placé en quatorzaine stricte en rentrant.
"Car il y a des vols", rappelle-t-il, puisqu'une "continuité territoriale" est assurée par Air Tahiti Nui, pour le fret et les évacuations sanitaires, avec une rotation tous les 10 jours. Mais si un premier avion a bien rapatrié des touristes bloqués dans l'archipel et des évacués sanitaires, les Polynésiens coincés dans l'hexagone n'ont pas pu profiter du vol retour, chargé uniquement de fret. 
    

"À bout de nerfs"

"La présidence polynésienne dit qu'elle n'a pas de locaux pour nous confiner à l'arrivée ; c'est pourtant pas les hôtels vides qui manquent", note Tamatoa, venu pour affaire en métropole et coincé à Marseille, dans une location saisonnière. "Il y a des personnes à bout de nerfs", relate-t-il, et "des personnes au bout de leurs capacités financières". "Moi-même, j'ai des amis qui m'ont prêté de l'argent", explique l'homme de 62 ans, qui "n'a plus de revenu", a "explosé" son forfait téléphonique et doit continuer à payer son loyer en Polynésie et ses charges.
    
Dans une déclaration à l'adresse de ces naufragés, le président de Polynésie Edouard Fritch a expliqué que la suspension des vols avait été décidée "pour protéger les Polynésiens et leurs familles". A ce jour 55 cas sont recensés dans l'archipel, sans décès.   

"Sens des responsabilités"

"Tant que la Polynésie française sera en confinement, vous ne pourrez pas rentrer", a ajouté le président, appelant à leur "sens des responsabilités". "Mais on fait aussi partie de sa population", s'insurge Emmanuelle Lenoir, Polynésienne de 39 ans, qui après plusieurs années en métropole, vit depuis plusieurs mois avec son grand-père de 87 ans à Tahiti, et faisait son dernier voyage dans l'hexagone pour finaliser son installation définitive au Fenua (pays en tahitien). Avec son fils de 10 ans et son mari, elle est "hébergée dans de la famille en Vendée", explique la clerc de notaire, inquiète pour son fils inscrit à l'école de Papara (commune de Tahiti) et pour son grand-père, seul à Tahiti.  
    
La ministre des Outre-mer Annick Girardin a souhaité mardi que soit repris "le plus rapidement possible, dès le prochain vol (...), l'envoi de Polynésiens voulant rentrer chez eux". La Délégation de la Polynésie française à Paris est chargée d'aider les plus en difficultés. "Mais la Délégation n'a pas de budget, elle fait de la bricole", déplore Gilles Osmont, hébergé chez sa soeur en banlieue parisienne, tandis que son fils de 16 ans, qu'il avait accompagné en métropole pour une compétition de tennis, est chez des amis à Nantes.
    
Interrogé par l'AFP, la Délégation n'a pas souhaité réagir, mais "oeuvre pour trouver des solutions", en sollicitant les associations et les Polynésiens de métropole. "Ce qui permet de tenir, c'est les réseaux sociaux et l'entraide des Polynésiens", qui offrent aide matérielle, financière ou hébergements, reconnaît Sébastien Dufrene, entrepreneur de 50 ans, réfugié chez ses parents, en Normandie. "Moralement c'est dur. En cette période d'épidémie, j'aimerai être près des miens. Ma fille de 12 ans m'a dit : +papa, j'ai peur de ne plus jamais te revoir+"