Coronavirus : paroles de soignants ultramarins dans l'Hexagone

L'entrée de l'hôpital Henri Mondor de Créteil
Ils sont cadres, infirmières et infirmiers. De près ou de loin, dans des établissements hospitaliers ou dans des structures sociales, ils affrontent chaque jour la pandémie du coronavirus. Ils ont accepté de témoigner. 
 

Maurice Tarcy, Guyane, infirmier l'hôpital Emile Roux Limeil-Brévannes

Spécialisé en gériatrie, l'hôpital appartient au groupe hospitalier universitaire Henri Mondor. Maurice Tarcy y travaille de nuit. Depuis le début de la pandémie, son établissement a connu 11 patients morts du Covid 19.
 

La nouveauté avec ce virus est que nous soignons des personnes pour lesquelles nous n'avons pas de remède. On traite les symptômes comme la fièvre, la perte du goût, mais pas le virus lui-même. Les antibiotiques, la morphine, les autres drogues et les soins palliatifs atténuent les souffrances des personnes. Mais elles peuvent mourir étouffées car le virus attaque les poumons, et pour nous, c'est dur.
Maurice Tarcy



Emile Roux reçoit donc des personnes âgées, souvent atteintes de plusieurs pathologies, cette fameuse co-morbidité. La présence des familles est essentielle. "Mais depuis l'interdiction des visites, nous sommes presque seuls face la maladie. Avant, on communiquait régulièrement avec les proches qui se déplaçaient sur place. Et surtout, ils voyaient leur parent. Ca, c'est terminé. Il y a bien une équipe dédiée qui leur répond au téléphone mais ce n'est pas nous. Dans ces conditions, il est difficile de leur dire par exemple : votre parent ne mange plus, sans les angoisser. La relation n'est plus la même."

Plus que les masques qui datent de 2013 et 2016 ou les sur-blouses qui ne protègent pas les bras, c'est le rapport à la mort qui est dur vivre pour le personnel soignant."Les familles n'ont pas le droit de toucher leur mort. Il est dans une housse et elles ne disposent que de deux heures pour lui dire au revoir".

Sur le plan social, le syndicaliste a constaté le renfort d'externes, une trentaine environ, qui remplacent le personnel touché par le Covid 19. "La direction annonce 20 cas, mais pour nous c'est une cinquantaine de personnes sur 1200 agents, que l'on estime positives au virus. Nous ne menons pas une guerre, mais un combat contre la mort conclut-il. Il nous faut des moyens. Ca fait un an que nous sommes en guerre pour les obtenir", soupire-t-il.
 

Lisa (le prénom a été modifié), Guadeloupe, infirmière à l'hôpital Jacques Monod au Havre

Lisa n'est pas à proprement parler au contact du Covid 19. Mais elle veut témoigner de l'ambiance qui a prévalu juste avant la pandémie dans son établissement."Au début, les médecins nous parlaient d'une petite grippe. Ce qui fait que nous ne nous sommes pas protégés tout de suite. Nous n'avons pas eu le temps de nous préparer. Par exemple, nos cadres n'ont pas eu le temps d'anticiper la commande des masques. Chaque soignant aurait pu en avoir, ne serait-ce que pour se protéger entre nous. On a pris conscience de la gravité de la pandémie qu'avec le discours d'Emmanuel Macron (le 16 mars) qui décrétait le confinement. C'est à partir de là que nous avons cessé de nous faire la bise. A cette époque aussi, les vols de masques et de solutions hydroalcooliques se sont envolés".

"Il a manqué de transparence. Au départ, on ne nous disait même pas le nombre de personnels atteints par le covid 19. Moi-même, j'ai été arrêtée parce que je présentais des symptômes. Mais je n'ai pas été dépistée. Parmi le personnel, nous sommes beaucoup dans ce cas à ne pas savoir formellement si nous avons été contaminés. J'aime mon métier. Mais en ce moment, je vais travailler avec la boule au ventre."
 

Sandrine (le prénom a été modifié), Martinique, cadre dans un établissement médico-social parisien pour personnes en situation de handicap psychique

D'ordinaire, cet établissement accueille cinquante résidents. Vingt sont partis dans leur famille pour le confinement.

"Sur les 30 restants, nous avons 5 cas de coronavirus. Nous avons été à leur contact sans savoir qu'ils étaient contaminés. Résultat sur une cinquantaine d'employés, 25 sont en arrêt. En fait, nous ne savons pas exactement qui est infecté ou pas. Comme nous ne sommes pas prioritaires, les biologistes qui se sont déplacés n'ont procédé qu'à trois tests. Ensuite, ils ont déclarés positifs tous ceux qui présentaient les symptômes".

"Habituellement, nous travaillons en vêtement de ville. N'étant pas prioritaires, nous avons reçu en peu de quantité les blouses et les masques. Et comment obliger nos résidents psychotiques, arriérés mentaux ou trisomiques à supporter un masque toute une journée? Entre nous, on se dit que l'on tombera forcément malade un moment puisque nous sommes en contact, ne serait-ce que pour les toilettes ou les repas, avec des personnes contaminées. Ce qui est dur est que nous sommes les laissés pour compte. On passera après tout le monde pour le réapprovisionnement."
 

Cette situation nous soude. Nous sommes tous volontaires. Il n'y a plus de cadre qui tienne. Je mets la main la pâte. Nous sommes dans la même m... Je participe aux toilettes par exemple. Et mes semaines dépassent allègrement les 70 heures pour limiter celles de mes équipes à 60. Il m'est arrivée de dormir sur place. Nous avons mis un logement de fonction avec plusieurs chambres à disposition pour le personnel.


Pour sa famille, c'est une épreuve aussi. "Avant de rentrer à la maison, j'appelle mon mari qui m'installe deux sacs poubelle à l'entrée, un pour les chaussures, l'autre pour les vêtements. Ensuite, je passe à la douche. Je désinfecte la salle de bains avec du détergent et de la javel. Ca me prend entre 45 minutes et une heure chaque soir. Pour les repas, je mange après mes enfants et mon mari. Pareil, je fais tremper la vaisselle dans la javel avant de la mettre dans le lave-vaisselle. Le plus dur est pour ma fille de 8 ans qui voudrait me faire des câlins. Mais ce n'est pas possible".
 

Laura (le prénom a été modifié), infirmière-anesthésiste à l'hôpital Américain de Neuilly

Ces temps-ci, Laura se félicite de travailler dans un établissement privé, l'hôpital américain de Neuilly. Car depuis le début de la pandémie, ses chefs de service tiennent à leurs équipes un discours de vigilance."Ils nous disaient. Voyez ce qui se passe en Chine. C'est du sérieux. Laissez les autres minimiser cette pandémie. Mais nous, préparons-nous". C'est ainsi que des protocoles de sécurité ont été mis en place très tôt. "Grâce à cette anticipation, nous ne déplorons pas de pénurie de matériel. Parce que nous sommes un hôpital privé. Très rapidement, tous les soignants ont porté un masque par jour. Et depuis le 24 mars, nous en avons 4 maintenant. Dans le public, je sais que mes collègues n'en disposent que de un ou deux". 

Infirmière-anesthésiste, Laura a vu la pandémie changer son quotidien. Elle qui effectuait deux ou trois anesthésies dans sa journée a vu ses tâches complètement chamboulées. "Avant j'endormais et je réveillais les patients. Maintenant, comme nous ne nous occupons que de malades covid 19, j'ai été obligée de mettre ma spécialité en sommeil. En une journée, j'ai appris à intuber. Je prodigue les soins d'urgence contre les vomissements, les diarrhées (symptômes du covid 19). Ca n'a rien à voir avec mon métier, mais il a fallu s'adapter".

Du coup, plus que le brusque changement de rythme pour compenser le manque de personnel ("je fais 14h par jour, 6 jours sur 7. Dès fois, on nous prévient la veille pour le lendemain"), le plus dur a été d'affronter la surmortalité. L'établissement a déjà connu une soixantaine de décès liés au covid19.
 

Au début, c'était dur. J'ai pensé faire jouer mon droit de retrait. Car un matin quand je suis arrivée, mes collègues m'ont dit qu'il y avait eu deux morts dans la nuit. On en a déploré trois autres dans la journée. Là, j'ai eu peur mais je suis là pour aider. 


Le psychologue à demeure et l'entraide entre collègues l'ont aidée à passer le cap difficile. Laura a déjà prévenu que si elle contractait le virus, elle ne retournerait pas travailler pour ne pas mettre en péril sa famille. Dans cette structure, tous les matins, le personnel prend sa température, et une fois par semaine, il est testé.
 

Louise (le prénom a été modifié), Guadeloupe, infirmière en renfort à Bichat (hôpital référence en matière de Covid 19).

Infirmière scolaire, Louise s'est décidée rapidement à proposer ses services à l'hôpital Bichat. Avant de travailler pour l'éducation nationale, elle y avait passer une grosse décennie. "Je me suis souvenue, lors de l'épidémie du SRAS et de la canicule, combien on avait apprécié le renfort d'intérimaires à cette époque".
Louise s'est présentée le jeudi 2 avril et le 3 elle commençait à travailler. "On m'a demandé mon diplôme, ma carte d'identité et ma carte vitale". Le besoin de personnel est tel qu'elle se retrouve avec des élèves infirmiers, des futurs médecins. "Des médecins des autres services fermés sont même venus renfort. Et ils font fonction d'infirmiers",  s'étonne-t-elle.

Faute de pratique, elle ne se voyait pas travailler en réa. Alors, elle a été affectée à un nouveau service totalement dédié aux malades de covid 19. "Ce sont des cas graves puisqu'ils sont hospitalisés. Mais ils n'ont plus ou pas besoin d'être intubés. En revanche, il nous faut surveiller en permanence leur saturation en oxygène". Un rythme éprouvant qui lui rappelle le temps où elle exerçait dans un service de maladies infectieuses. "Il n'y a pas de temps de pause. C'est très prenant".  

Ce  qui lui est un peu pénible? Les mesures de protection : mettre un pyjama jetable, la charlotte, la sur-blouse et les sur-chaussures. Bien peu de choses, finalement par rapport à la situation qu'elle côtoie.

Je vois chaque jour les gens se dégrader malgré les soins. Une jeune femme de 24 ans est arrivée récemment. Elle respirait mal, elle avait de la fièvre. Je ne sais pas dans quel état, je vais la retrouver quand je reprendrai.

L'hôpital américain de Neuilly conteste notre témoignage
Dans un courrier adressé à Outre-mer la 1ère, le directeur médical de l'hôpital américain de Paris conteste le témoignage que nous publions ci-dessus : "Très engagé depuis le début de la crise sanitaire que notre pays traverse actuellement, l'Hôpital Américain de Paris conteste la véracité des propos rapportés par Laura qui prétend travailler habituellement comme « infirmière anesthésiste » dans notre hôpital. Cette fonction ne fait pas partie des effectifs de l'établissement. De plus, son témoignage ne reflète ni le quotidien, ni l'organisation de l'hôpital dans la lutte contre le covid-19." Outre-mer la 1ère maintient ce témoignage, à nouveau confirmé par notre source, dont nous tenons à préserver l'anonymat.