Coronavirus : dans les prisons de l’Hexagone, "la tension monte" s’inquiètent des surveillants ultramarins

Maison d'arrêt de Fleury-Mérogis
Cinquante membres du personnel de l'administration pénitentiaire et 21 détenus sont positifs au Covid-19. Comment les surveillants vivent l’épidémie au quotidien ? Outre-mer la 1ère a contacté deux d’entre eux.

 
À la prison de Fresnes, en région parisienne, "c’est l’abattement pour de nombreux surveillants", raconte Cédric Boyer, syndicaliste à FO pénitentiaire. Ce surveillant réunionnais exprime le malaise de ses collègues. Ils ont appris hier la mort de l’un des leurs.
La prison de Fresnes.


Mort d'un surveillant

Ce surveillant de la prison d'Orléans-Saran âgé de 54 ans qui était confiné chez lui depuis quelques jours pour suspicion de Covid-19 est mort à son domicile. Il aurait fait un arrêt cardiaque. Le ministère de la Justice n'a pas confirmé de lien entre ce décès et le nouveau coronavirus.

"À Fresnes, on le connaissait bien. Il travaillait avec nous. Il est parti il y a deux ans chez lui, à Orléans", précise Cédric Boyer. "C’était quelqu’un de très bien intégré chez nous". À la prison de Fresnes qui compte environ 2 500 détenus pour 800 employés, l’inquiétude monte aussi bien chez les surveillants que chez les détenus.
 
Cédric Boyer


Détenu mort du Covid-19

D’autant plus qu’avant le décès de leur collègue, c’est un détenu qui est mort du Covid-19, le premier en prison. "Il avait 74 ans, il venait d’arriver du tribunal sans masque, inculpé pour violences conjugales. Il était malade du coronavirus et le lendemain, le protocole médical a été appliqué. Il a ensuite été transféré à l’hôpital et il est mort là-bas. L’administration nous a dit qu’il était diabétique", précise Cédric Boyer. "Pendant quatre jours, le détenu a été au contact du personnel et des détenus sans protection", déplore le surveillant réunionnais.

La Direction de l'administration pénitentiaire confime qu'il s'agit du seul décès parmi les détenus à ce jour. L'homme de 74 ans a été incarcéré le 8 mars. Il est mort le 16 mars, "sans avoir été en contact avec le reste de la population carcérale", selon le ministère.

À Fresnes, selon Cédric Boyer, il y a actuellement "huit cas avérés de Covid-19 parmi le personnel - deux infirmières, trois membres de la direction, une membre de la DRH et deux surveillants". "Beaucoup de surveillants ont été placés en quatorzaine", ajoute-t-il.

Membre actif du Codium (le Collectif pour la défense des intérêts des Ultramarins de métropole), Cédric Boyer précise que dans son établissement pénitentiaire, plus de la moitié des surveillants sont originaires des Outre-mer, principalement de la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion, la Guyane et Mayotte.
 

Tension palpable

Avec l’épidémie de coronavirus, les surveillants doivent gérer une tension palpable. La ministère de la Justice a décidé de suspendre l’accès aux parloirs, une décision très mal vécue par les détenus. À Fleury-Mérogis, l’immense centre pénitentiaire du sud de l’Essonne qui compte environ 3 500 détenus, l'inquiètude est réelle.

Didier Kandassamy, surveillant guadeloupéen, et secrétaire local de FO pénitentiaire, raconte que "dimanche dernier, des détenus ont refusé de réintégrer leurs cellules après la promenade. Ils voulaient leur ravitaillement en drogue, des masques, du gel pour se protéger du virus".
 
Didier Kandassamy

"Beaucoup de détenus sont dépendants aux drogues et ces stupéfiants passent essentiellement par les parloirs (...) Nous on se prépare au pire", déclare Didier Kandassamy. "Il y a déjà eu des appels à l’insurrection et des saccages ces derniers jours dans les prisons de Grâce, Uzerche et Maubeuge. Il faut absolument un message de fermeté", estime le surveillant guadeloupéen.
 

"Double confinement"

Selon François Bes de l’Observatoire international des prisons (OIP), "depuis la semaine dernière, il y a une trentaine de prisons dans lesquelles les détenus ont refusé de réintégrer leurs cellules après la promenade. Ce sont des incidents révélateurs d'un malaise. Ils vivent très mal la suspension des parloirs, le manque d’activité, le manque de contacts avec leurs proches et le manque d’information. Ils sont dans un double confinement".

"Des mesures ont été prises par le ministère de la Justice applicables depuis le 19 mars à Fleury-Mérogis, note toutefois Didier Kandassamy. Il s'agit de la gratuité de la télévision et un forfait téléphonique exceptionnel". "Aujourd'hui les détenus ont pour seules activités, la promenade, la douche et le sport dans la limite de 20 personnes. Le travail en atelier a été supprimé", témoigne Cédric Boyer. 
 

Des masques et du dépistage

Les prisons de toute la France disposent désormais de zones de confinement pour les détenus suspectés d'être infectés par le coronavirus. "Les détenus vulnérables ont été recensés", précise Didier Kandassamy.

Dans ces ailes spécifiques, les surveillants portent des masques, "mais seulement là", déplore Cédric Boyer. "Le virus circule à l'intérieur de l'établissement", ajoute Didier Kandassamy. Les deux syndicalistes demandent donc, avant tout, des masques et du dépistage pour les personnels pénitentiaires. "L'urgence, c'est de donner des moyens au personnel", insiste Cédric Boyer. 

"Nos familles d'Outre-mer nous appelent beaucoup. Ils sont inquiets pour nous", ajoute Didier Kandassamy.  Selon l'administration pénitentiaire, parmi les 42 000 suveillants, "50 ont été testés positifs, 793 sont en quarantaine pour 14 jours et 78 sont déjà sortis de quatorzaine".
 

Libérations

Pour lutter contre la propagation du virus dans les prisons, le ministère de la Justice a procédé à la libération de 1 600 détenus. Ces libérations qui devraient se poursuivre ne concerneront "pas les terroristes, les auteurs de violence intra-familiale", a précisé sur France Inter la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. "Ca va servir de soupape pendant un moment", relativise Didier Kandassamy. 

Selon François Bes de l'OIP, "si l’on veut qu’il y ait un détenu par cellule et donc éviter la propagation du coronavirus, il faudrait en libérer 12 000". Les prisons françaises souffrent d'une surpopulation chronique, comptent plus de 70 000 détenus pour quelque 61 000 places opérationnelles.