Cuba : un racisme banni par la loi mais encore bien présent

Une rue de La Havane
A Cuba, le chef du Parlement, le vice-président et la vice-Première ministre sont noirs. Pourtant, 60 ans après le rejet de toute discrimination par la révolution socialiste, dans les rues de l'île le racisme reste encore bien présent.
Ici, "personne ne dit 'Je suis raciste', même s'il l'est", observe le chercheur Tomas Fernandez, 79 ans, auteur de nombreux livres sur le sujet. Pas grand monde non plus pour se déclarer comme noir : seuls 9,3% des 11,2 millions d'habitants se définissent ainsi, contre 26,6% se disant métis et 64,1% blancs, selon une enquête de 2012.
    
Longtemps colonie espagnole, le pays a reçu des milliers d'esclaves africains et n'a aboli l'esclavage qu'en 1886. Pour effacer les inégalités héritées de ce passé, des lois ont instauré des quotas pour l'accès des Noirs à l'université et aux postes publics. Aujourd'hui, au Parlement, 40,5% des 605 députés sont noirs ou métis, dont son président Esteban Lazo, tout comme la moitié des membres du Conseil d'Etat. Le vice-président Salvador Valdés et la vice-Première ministre Inés Maria Chapman le sont aussi. Mais dans les mentalités, beaucoup reste à faire.
 

"Les inégalités sont réelles"

Militant des droits des Noirs et étudiant en histoire, Alexander Holl, 22 ans, met en garde contre le piège de "compter le nombre de Noirs et Métis au Parlement et au gouvernement pour prouver que le racisme n'existe pas" : "le vrai racisme est dans les rues". Par exemple, "cela arrive souvent que beaucoup de familles blanches disent à leurs enfants de ne pas nouer de relations avec telle ou telle personne" noire, raconte-t-il. Et "quand on a envie d'être avec une fille blanche, on se rend compte que c'est parfois impossible".
    
Dans l'argot local, une femme blanche ayant un fiancé noir "fait reculer la race". Ce dernier "fait avancer" la sienne. On touche généralement du doigt son bras pour critiquer, sans le dire, la couleur de peau d'un noir. Les cheveux crépus sont considérés comme de "mauvais" cheveux. "Le fardeau qui subsiste, mais de façon très subtile, ce sont les préjugés" associant les Noirs à la violence, à la paresse ou au sexe, souligne le peintre Salvador Gonzalez, 71 ans, créateur à La Havane du Callejon de Hamel, ruelle aux murs peints d'oeuvres célébrant l'héritage africain.
 

Le dissident Manuel Cuesta Morua, Afro-Cubain de 57 ans, dénonce "un racisme comme reste du passé, et structurellement caché, installé dans les dynamiques économiques, institutionnelles et politiques".

   
Pourtant, dès 1962, Fidel Castro décrétait la fin de toute discrimination raciale. "On était romantiques et on ne s'est pas rendu compte que ce problème était beaucoup plus profond, qu'"il ne disparaît pas avec une loi", admet Tomas Fernandez. Le même Fidel reconnaissait en 2003 la persistance d'un racisme sous-jacent, "lié à la pauvreté et au monopole historique du savoir" par les Blancs. En novembre, le président Miguel Diaz-Canel a annoncé un programme pour "éliminer définitivement les vestiges du racisme", dénonçant la persistance de blagues racistes et d'annonces d'emploi stipulant la couleur de peau. 
    
Car les inégalités sont réelles : selon une étude de l'institut allemand Giga de 2019, 50% des Cubains blancs disent avoir un compte bancaire, contre seulement 11% des Noirs, 31% des Blancs ont voyagé à l'étranger, contre 3% des Noirs, et les Blancs contrôlent 98% des entreprises privées. "Même si tu me garantis un droit dans la loi, cela ne veut pas dire que j'ai toutes les conditions économiques et sociales pour faire valoir ce droit", soupire Alexander Holl.