Une chaleur étouffante, des cris de joie qui résonnent dans les rues de Paris, une foule compacte et survoltée... en fermant les yeux, on pourrait s'imaginer sur les Champs-Élysées, à attendre que l'équipe de France vienne parader avec le trophée en or de la Coupe du monde de football. Mais en cette électrique soirée du jeudi 11 août, les centaines de personnes attroupées autour du Café Beaubourg n'ont que faire du ballon rond.
Ici, l'or est dans les paillettes qui ornent les tenues des trois finalistes de Drag Race France et ce soir, le nom de la reine de cette première saison française de l'émission culte sera enfin connu. À imaginer le poids des perruques, les pieds engourdis par les talons, les années de travail pour se maquiller avec la précision des plus grands, la métaphore sportive n'est pas de trop. "C'étaient vraiment les Jeux olympiques du drag", s'amuse la Martiniquaise Soa de Muse.
Aux côtés de Paloma et de la Grande Dame, elle est arrivée en finale de l'émission. Et si ce 11 août, ce n'est pas elle qui est repartie avec la couronne sertie de diamants, Soa de Muse estime avoir "déjà gagné". "Dans ce top 3, j'avais l'impression de ne voir qu'une personne, raconte-t-elle à chaud juste après la fin de l'émission. On est tellement complémentaires, on a partagé des moments forts, on était vraiment connectées. De l'extérieur, on ne se rend pas compte de la symbiose et de la sororité, de l'adelphité qui se crée."
On marche ensemble, main dans la main, dans cette aventure.
Soa de Muse
Car le drag n'est pas un concours de beauté. Chaque "queen" porte haut et fort ses combats, son histoire, ses forces et ses faiblesses. "C'est d'une certaine manière aussi politique, explique Soa. Il y a plein de choses qui se passent autour de ça et me retrouver dans cette première saison en tant que personne gender fluid, antillaise, qui est née en banlieue, putain je suis fière !"
"Tchimbé rèd, pa moli"
Dans cette aventure, Soa a emmené avec elle sa Martinique adorée. Lorsqu'une épreuve impose de représenter la France, c'est évidemment le madras et les broderies anglaises qu'elle choisit pour défiler. Et dans les personnages qu'elle interprète, elle glisse des inspirations des Antilles, s'exclame en créole. Avec en guise de cri de guerre désormais célèbre, jusqu'à le porter en collier ce jeudi soir, une insulte en créole reprise en chœur par ses soutiens. "Je suis fière de venir de Martinique, fière de toute cette histoire qui n'est pas toujours aussi joyeuse mais qui montre qu'on est des battants et c'est ça que j'ai envie de montrer."
Il faut arrêter l'invisibilisation des Outre-mer ! On est présents, on est forts, on porte tellement de choses. Nou ka tchimbé, nou ka pa laché !
Soa de Muse
"Ça fait du bien de voir une minorité, qu'elle incarne parfaitement et qu'elle porte fièrement, une femme noire, non-binaire et martiniquaise, quand on sait que dans les Outre-mer, c'est très compliqué pour les LGBT", se réjouit Laura, venue dans ce café du marais pour assister au couronnement de la gagnante. "J'espère que ça fera bouger les choses", ajoute Alex, jeune non-binaire également originairede Martinique. "Je retrouve dans Soa cette culture libre qui a entièrement cassé les codes, comme ce qu'on a fait en Martinique face à l'oppression."
Soa, c'est vraiment une belle réussite en termes de diversité, de visibilité, de charisme, de caractère, elle a apporté à ce show l'une des seules diversités et c'est vraiment important en France pour la visibilité des Ultramarins dans les milieux homosexuel, queer, drag et transgenre.
Yorhann Emmanuel, un soutien dans le public
Un long processus
Même engouement du côté de la Big Bertha, sa "sœur" depuis des années et elle aussi participante à la première saison de Drag France. "Soa de Muse c'est une créature, ce n'est pas "il", ce n'est pas "elle", c'est une muse", décrit-elle. "Elle apporte tellement et elle a déjà fait évoluer beaucoup de choses."
Dans ce tourbillon de fête et d'émotion au cœur du Marais, la tentation est grande d'oublier les épreuves et les difficultés, du passé comme du présent. "On oublie qu'en dehors de notre bulle, il y a encore beaucoup de violence et de travail pour faire changer les mentalités", rappelle Mimi, la casteuse et nounou des drag queens sur l'émission, qui vient de Guadeloupe et raconte avoir encore du mal à faire comprendre à sa famille cette culture drag dans laquelle elle travaille. Mais ce soir, Soa de Muse est pleine d'espoir : "Nou la, nou doubout, pa oublié sa". Traduction : "on est là, on est debout, ne l'oubliez pas". Un message martelé en boucle, à bon entendeur.