L’ouvrage part d’un constat déjà exprimé par l’association Décoloniser les arts (DLA) et de « la volonté d’ouvrir encore plus largement le débat sur le racisme dans le monde culturel et artistique ». l’objectif reste clair : « identifier les causes des absences, dénis, oublis, et points aveugles dans la représentation des racisé.e.s, et dans les formes de narration, de méthodologie, ou de formation dans les institutions artistiques et culturelles, au cinéma, au théâtre, dans la danse, la musique, les arts vivants, et les musées ».
Contexte idéologique
La tâche est ardue, surtout dans le contexte idéologique de l’ «universalisme» français, qui s’affiche au monde comme inclusif, non communautariste et non raciste alors qu’il est en fait gangrené par un racisme sournois et bien réel, qui conduit à de multiples discriminations, incluant le domaine de la culture. « Le racisme n’est ni une affaire d’opinion ni de goût mais un système qui structure l’Etat, les institutions et qui a profondément pénétré la société », écrivent les coordinatrices de l’ouvrage dans leur introduction. « 'Ça' contamine la société, même ses mouvements progressistes et donc le monde culturel et artistique ».Le comédien guadeloupéen Jalil Leclaire parle ainsi de son « corps racisé », et tout ce que sa seule présence fait naître dans l’imaginaire de ses camarades, et « des histoires qui ne s’adaptent finalement pas à ta forme, à ta couleur, à ta douleur ».
Tu as compris que moi, ton corps, je gênais et que j’allais être soumis à toutes sortes de violences afin de me rendre moins gênant, afin de me remodeler, me faire disparaître, me rendre moins moi. Que ce corps, le tien, se taise ! Qu’il ne raconte pas son histoire, sa colonisation, sa mise en esclavage, sa réduction à une classe sociale créée pour lui seul, quelle que soit son origine sociale réelle. » (Jalil Leclaire)
Dans un chapitre intitulé « Corps non blancs en scène et décolonisation du regard » la chorégraphe martiniquaise Sandra Sainte Rose Franchine explique à la suite du comédien que son travail se veut l’écho des « minorités » de genre, sexuelles, et raciales. « En contexte français, la norme est hétérosexuelle, blanche, de classe sociale aisée, valide », écrit-elle. Pour elle, femme afrodescendante, il s’agit donc d’interroger son déterminisme social, « le critiquer et réinventer une identité affranchie », en cherchant « des sources iconographiques, musicales et chorégraphiques dans des matériaux produits par la diaspora noire (danses sociales afro-américaines, danses d’Afrique et des Antilles, pop culture, déplacement du plateau dans l’espace public…) ».
Propositions concrètes
Sous la plume de Françoise Vergès, en guise de conclusion, l’ouvrage effectue des propositions concrètes. Entre autres : « Faire mieux connaître, et plus largement, toutes les initiatives, actions, expériences et pratiques développées dans des écoles d’art et des centres culturels par des artistes, des étudiant.e.s et des enseignant.e.s, qui contribuent à la décolonisation des savoirs et des méthodes ; Un programme d’action affirmative pour transformer les comités de sélection, les commissariats et les directions des institutions culturelles, artistiques, cinématographiques et médiatiques pour aller plus loin que la parité femmes/hommes ou la nomination de quelques-un.e.s ‘issues de la diversité’ et instituer un peu plus de transparence ; Une révision des cartels dans les musées ; Des lieux pérennes en France et dans les ‘Outre-mer’ où organiser des débats, rencontres, expositions et réflexions sur le processus de la décolonisation des arts. »« Décolonisons les arts ! », sous la direction de Leïla Cukierman, Gerty Dambury et Françoise Vergès – L’Arche Editeur, septembre 2018, 144 pages, 15 euros.