"Décolonisons l’espace public" : une campagne de sensibilisation menée en France, en Belgique et au Luxembourg

De gauche à droite : "Le cri, l'écrit", statue de Colbert, statue de Solitude à Paris
Sensibiliser les citoyens au nom des lieux dans l’espace public, c’est la volonté de la campagne, "Décolonisons l’espace public" lancée par une entreprise de cosmétiques. Une opération en collaboration avec trois associations, dont Mémoires et Partages, du 8 au 15 juin.

"Pour nous, décoloniser l’espace public, c’est d’en faire un espace réellement démocratique, un espace qui respecte la sensibilité, la conscience de celles et ceux qui, aujourd’hui, partagent nos villes et qui, à l’époque coloniale notamment, étaient reclus dans les Outre-mer ou bien en Afrique, mais qui, maintenant, habitent dans les villes et demandent qu’il y ait une discussion de l’espace public et qu’il y ait de nouveaux espaces symboliques qui respectent la mémoire des crimes contre l’humanité dont nous avons conscience aujourd’hui", explique Karfa Diallo, fondateur de Mémoires et Partages.

On voulait vraiment faire une campagne avec ces associations et ce sont elles qui ont choisi la thématique de la décolonisation de l’espace public

Groupe Lush

Donner de la visibilité et des moyens

Ce genre de campagne n’est pas une nouveauté pour le groupe de cosmétique Lush. L’entreprise anglaise est habituée depuis sa création à lancer ce genre d’opérations en partenariat avec des associations. Une gamme de produits est d’ailleurs dédiée à cela, des produits dont les recettes (hors TVA), sont reversées aux associations.

"Ça leur permettra d’avoir les moyens de faire leur travail pédagogique, c’est vraiment notre espérance", détaille le fondateur de Mémoires et Partages. Cela participera notamment, à financer la "Maison contre les Esclavages", un projet social et urbain porté par cette association.

"Décolonisons l’espace public" est donc la nouvelle campagne de la marque en collaboration avec Mémoires et Partages, mais aussi avec Change ASBL, une association belge, et Lëtz Rise Up, une association luxembourgeoise. Selon l’entreprise de cosmétique anglaise, "à force de discussion avec les associations, on s’est dit qu’il faut qu’on fasse une campagne ensemble pour avoir plus d’impacts, et ça s’est construit tout naturellement. (…) Notre but est de mettre le sujet sur le devant de la scène et d’aider comme on peut à travers nos moyens et nos ressources."

Ce que nous attendons effectivement, c’est plus de visibilité, au niveau européen et au niveau national bien évidemment. (…) La visibilité, c’est aussi une entreprise qui en principe doit faire de l’argent, qu’elle choisisse de défendre des causes comme ça.

Karfa Diallo

Pour Karfa Diallo, "les clients de cette marque ne sont pas forcément en phase, ou ne connaissent pas ces combats associatifs, donc pour nous, c’était essentiel (…) et c’est pour ça que nous avons choisi de les accompagner et ça permettait aussi de toucher de nouveaux publics que nous ne touchions pas précédemment".

Trois pétitions

Les trois associations ont chacune lancée à l’occasion de cette campagne une pétition. Pour l’association belge Change ASBL, cela porte sur une plus grande visibilité de la statue du roi Leopold II en Belgique, pour mettre en lumière son rôle dans l’histoire colonial de son pays. Pour l’association luxembourgeoise Lëtz Rise Up, elle porte le désir de retirer le mémorial de Nicola Cito, un ingénieur ferroviaire, pour la remplacer par une plaque commémorative en mémoire des 5 000 travailleurs congolais morts lors de la construction de la ligne de chemin de fer dont il était maître d’œuvre.

La pétition de Mémoires et Partages demande, quant à elle, au groupe VINCI, de changer l’appellation du péage autoroutier "la négresse" à côté de Biarritz, ainsi que les panneaux signalétiques qui le nomment ainsi. "Depuis quelques années, nous faisons un travail sur le Pays Basque, qui porte beaucoup de traces de l’histoire de l’esclavage, de la traite des noirs, mais qui l’ignore", raconte Karfa Diallo.

À Biarritz, tout un quartier s’appelle "la négresse", avec des établissements commerciaux qui affichent ce nom. (…) Quand vous êtes quelqu’un du XXIe siècle conscient, vous ne pouvez pas ne pas être choqué.

Karfa Diallo

Des pétitions qui seront accessibles directement dans les magasins de la marque anglaise. "On a des affiches avec un QR code et ça renverra vers les pétitions et plusieurs ressources disponibles. (…) Notre enjeu est d’élargir l’amplification de ces demandes et d’en accroître la visibilité", explique le groupe britannique.

Un long combat

Cela fait plusieurs années que l’association Mémoires et Partages essaye de sensibiliser l’opinion pour que le nom "négresse" disparaisse de la ville de Biarritz. L’association s’est d’ailleurs faite remarquer lors du sommet du G7 en 2019, avec une opération de sensibilisation, qui a valu à ses membres participants, une arrestation.

Malgré tout, le travail paie, et dans ce quartier de la ville basque, une boulangerie et un café ont changé de nom, abandonnant "négresse" et "négros". De même, la gare de la ville ne se nomme plus négresse. Mais, "la gare, dans la signalétique, est partout indiquée, "gare la négresse"" constate amèrement Karfa Diallo.

"Nous avons aujourd’hui un recours au tribunal administratif, pour que ce dernier décide que l’appellation de ce quartier est une appellation raciste, stigmatisante, humiliante, qui ne respecte pas la mémoire de l’esclavage, de la traite des noirs et du racisme", assène le fondateur de Mémoires et Partages. Un combat qui continue à travers cette collaboration avec l’entreprise de cosmétique anglaise qui a lancé cette campagne et une pétition, "ce que nous proposons, c’est une réparation symbolique, (…) que tout ça participe à démocratiser davantage notre société", conclut Karfa Diallo.