Décryptage : la petite histoire du mot Outre-mer

Les Outre-mer, l'outremer, l’Outremer... Autant de manières d’écrire ce mot qui recouvrent des significations différentes. Mais finalement qu’est-ce que l’Outre-mer ?
Qu’est-ce que l’Outre-mer ? Ou plutôt les Outre-mer, tant les territoires rassemblés sous ce vocable sont divers sur les plans géographique, humain, historique, social et politique, de la Polynésie à Saint-Pierre et Miquelon en passant par la Guadeloupe ou Mayotte… Comment cette expression s’est-elle inscrite dans l’histoire ? Et comment doit-on l’écrire ? Voici quelques éléments de réponse.

« Outre-mer : au-delà des mers. Se dit en particulier des colonies, anciennes colonies ou possessions d'un pays par rapport à la métropole. Depuis la décolonisation, désigne certains territoires situés hors de la métropole et qui bénéficient de statuts juridiques particuliers », explique le dictionnaire de l’Académie française en ligne. Définition (la plus répandue) européocentriste certes, mais comment pourrait-il en être autrement vu de ce continent ? Par ailleurs, l'outremer c'est également une couleur. Outremer, en un seul mot, désigne le bleu intense de la pierre du même nom (ou lapis-lazuli).
 

"Louis IV d’Outremer" 

Mais laissons donc ces aspects de côté pour nous intéresser à l’histoire du mot. Le dictionnaire de l’Académie mentionne une expression Outre-mer déjà utilisée au Xe siècle. Louis IV, le souverain carolingien qui régna sur la France de 936 à 954, était appelé « Louis IV d'Outre-Mer ou d'Outremer » (Ultremer ou Oultremer, en vieux français, ultra mare en latin), parce qu'il avait été élevé à la cour d'Angleterre.
 
« Le terme Outre-mer s’est généralisé à l’époque des premières croisades. Aux XIVe et XVe siècles cela signifiait ce qui se trouvait de l’autre côté de la Méditerranée », précise Jean Nemo, membre de l’Académie des Sciences d’Outre-mer, qui a codirigé la rédaction de l’ouvrage « Présences françaises outre-mer, XVIe-XXIe siècles » (2 tomes, éditions Karthala, 2012). « A partir des premières grandes découvertes ce terme s’est beaucoup élargi pour englober tout ce qui était au-delà des océans, l’Amérique, le Sud de l’Afrique, l’Inde, l’Indonésie, les Philippines, la Chine, etc. Cela n’avait aucun sens formel ni juridique, mais représentait tout ce qui n’était pas européen. »
 

Des colonies à l’Outre-mer

De fait, quand l’empire français commence à s’installer, c’est plutôt le terme de « colonies » qui va être couramment usité. En 1710, Richelieu crée un bureau des colonies, rattaché au secrétariat d’Etat à la Marine. Un siècle et demi plus tard, en 1858, Napoléon III met en place un « ministère de l’Algérie et des colonies ».
 
En 1894 apparaît un nouveau ministère des colonies, dont le but est de centraliser l’administration des possessions françaises. Il prend ses quartiers en 1910 à l’hôtel de Montmorin, au 27 de la rue Oudinot dans le 7e arrondissement de Paris, siège actuel du ministère des Outre-mer. Quelques années avant a été créée l’Ecole coloniale (1889) qui forme les cadres du système colonial (administrateurs, magistrats, inspecteurs).
 
Un diplôme de l'Ecole coloniale de Paris

« Le terme d’Outre-mer va remplacer la "coloniale" d’autrefois, en 1934 » explique Jean Nemo. « À cette date l’Ecole coloniale est devenue l’École nationale de la France d'Outre-mer. Le mot Outre-mer se substitue à ceux de "colonies" ou de "possessions". On a alors utilisé dans le langage courant l’expression "France d’Outre-mer" pour désigner tous les territoires français non européens. On y incluait le Maroc et la Tunisie qui étaient des protectorats, la Syrie, le Cameroun et le Togo qui n’étaient pas des colonies mais des territoires sous mandat. »
 

Un ministère des Outre-mer au pluriel

Le ministère des colonies s’appellera successivement ministère de la France d’Outre-mer (janvier 1946), ministère du Sahara et des Départements et Territoires d'Outre-mer (1959), ministère des Départements et Territoires d'Outre-mer (1962), puis, au gré des gouvernements, ministère de l’Outre-mer ou secrétariat d’Etat à l’Outre-mer sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, avant de devenir le ministère des Outre-mer (au pluriel), après l’élection de François Hollande en mai 2012.
 

Nous avons aujourd’hui un Outre-mer constitutionnel avec une signification très précise. Ce sont les territoires français qui ne sont pas en Europe. Et ce sont eux qui permettent à la France d’avoir la deuxième surface maritime au monde », conclut Jean Nemo.

 

Comment écrit-on « Outre-mer » ?

- Outre-mer (avec un trait d’union) désigne littéralement de manière générale (et d’un point de vue hexagonal) un territoire situé au-delà de la mer ("outre" et "mer"), selon les dictionnaires. Exemple : les pays d’Outre-mer. Autre exemple : la France d’Outre-mer (avec une majuscule dans ce cas puisqu’il s’agit d’un nom propre). Utilisé comme adverbe ou nom propre, il n'y pas de règle, mais l'usage veut qu'on ne l'accorde pas au pluriel. 
 
- Outremer (en un seul mot) désigne la couleur outremer, le bleu intense de la pierre du même nom (ou lapis-lazuli). Il peut être employé comme nom masculin, pour désigner la pierre, ou comme adjectif pour qualifier la couleur.Pour aller plus loin, lisez ci-dessous les précisions de Jean Nemo, membre de l’Académie des Sciences d’Outre-mer, ancien directeur de l’Institut de recherche pour le développement (IRD)

« Le mot “outremer” (orthographe fort variable selon les époques et les auteurs, sauf exceptions) signifie “ce qui se situe au-delà des mers”, plus précisément ce qui se situe hors d’Europe. Compte tenu des moyens d’accès aux époques historiques récentes utilisés par les Européens, essentiellement par mer, le vocable désignait également les Indes, l’Extrême-Orient... (non accessibles par terre en raison de la présence musulmane au Levant), puis à partir de Christophe Colomb les Amériques.
 
On le retrouve dans des textes de chroniqueurs de la fin du Moyen Âge (Froissard, Joinville) pour désigner les pays d’Afrique du Nord et du Levant. Il a largement été utilisé dans un sens plus général par les auteurs des siècles suivants (Montaigne, Voltaire, Montesquieu...). Dans ce sens général, le mot anglais “Overseas” est pratiquement équivalent.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, avec la nouvelle période d’expansion coloniale européenne et notamment française et anglaise, le vocable “outre-mer” est devenu peu à peu synonyme, en France, de “colonie” (ou de pays “semi-colonisé” comme la Chine, le Siam...). À tel point que l’Ecole coloniale, qui formait les administrateurs des colonies est devenue vers 1936 l’Ecole nationale de la France d’Outre-mer. Le musée des colonies construit à l’occasion de l’exposition coloniale de 1931 Porte Dorée est devenu avant-guerre “musée de la France d’Outre-mer”, le ministère des Colonies qui gérait l’Indochine française, les “vielles colonies” d’Antilles-Guyane-Réunion-St-Pierre et Miquelon, l’Afrique noire française et Madagascar, est devenu le “ministère de la France d’Outre-mer”.

Puis le sens a évolué parallèlement à l’évolution constitutionnelle et institutionnelle de la France. La citoyenneté française a été étendue par la Constitution de 1946 à l’ensemble des habitants de l’Union française, les textes d’application apportant cependant de nombreuses limitations à cette disposition (par exemple un double collège électoral dans la plupart des territoires d’Outre-mer et en Algérie). En 1946, les “vieilles colonies” ont opté pour la “départementalisation” mais se sont vu reconnaître par la Constitution et par la loi des prérogatives fiscales et règlementaires particulières. L’Algérie était également départementalisée depuis des décennies, avec des dispositions particulières (il a fallu attendre 1946 pour que les musulmans d’Algérie de sujets deviennent citoyens, avec là encore des textes limitatifs). Il y a longtemps eu du flou quant au Maroc, la Tunisie, le Togo, le Cameroun, les deux premiers étant des Etats sous protectorat, les deux suivants étant sous mandat de tutelle de la Société des Nations (SDN) puis de l’ONU. Ils ont souvent été abusivement considérés comme faisant partie de la “France d’Outre-mer”.

La loi-cadre “Defferre” de 1956 dote les territoires d’Outre-mer d’une certaine autonomie, ouvrant la voie à une prochaine indépendance, rendue inéluctable par l’indépendance reconnue en 1956 du Maroc et de la Tunisie, et la rupture brutale en 1958 avec la Guinée. La Constitution de 1958 a prévu divers dispositifs pour les Territoires d’Outre-mer : la possibilité de rester TOM, d’accéder à l’indépendance après référendum, et la départementalisation.

D’où des “Outre-mer” français bien spécifiques, relevant de la souveraineté de la France mais avec des statuts constitutionnels, législatifs et réglementaires fort différents. D’un côté les départements de 1946 (Antilles-Guyane-Réunion-St-Pierre et Miquelon), de l’autre la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, cette dernière devant se prononcer par référendum sur son futur statut. Enfin, la départementalisation récente, après référendum, de Mayotte, auparavant TOM. Avec une bizarrerie constitutionnelle, des citoyens français bénéficiant de leur statut personnel musulman, ce qui ne s’était jamais vu auparavant : cette question de statut personnel différent du code civil français était l’une des principales raisons du maintien, après 1946, de deux catégories de citoyens français, comme mentionné plus haut.

À partir des années 1950, l’ensemble géographique constitué par l’ ”Outre-mer” tel qu’on l’entendait depuis le milieu du XIXe siècle, soit pour l’essentiel les pays du “Sud”, pour la plupart (sauf en Amérique latine) sous domination coloniale européenne, a été dans le langage courant rebaptisé : désormais, on parle de “pays sous-développés” ou “en voie de développement (PVD)” ou “pays les moins avancés (PMA)”. Ces appellations sont couramment utilisées non seulement par les économistes ou les politiques mais ils font l’objet de définitions précises, notamment au niveau international (ONU, OCDE..) car étant bénéficiaires de l’aide publique au développement (APD) laquelle est non seulement une obligation pour les pays développés mais est contrôlée au niveau international. Depuis, en raison de l’apparition de “pays en transition” et de la rapide croissance de leurs économies (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Brésil...), “l’Outre-mer” traditionnel n’a plus grand sens.

En résumé : outremer, outre-mer, Outre-mer, sont à l’origine un seul et même terme pour désigner les pays “au-delà des mers” et non européens. Utilisé depuis au moins le XIVe siècle, le terme a pris un sens plus précis dans la seconde moitié du XIXe siècle pour désigner les pays sous domination coloniale européenne et peuplés de non-Européens, le plus généralement sous les Tropiques et l’Equateur. Il a pris, dans le contexte français, à partir des années 1930, un sens particulier pour désigner les pays et territoires dominés par la France. Et, plus récemment, ce sens est confirmé par les constitutions de 1946 et de 1958, pour désigner au singulier et plus récemment au pluriel, les pays et territoires de souveraineté française hors d’Europe. (Une conséquence du maintien de la souveraineté française Outre-mer est l’existence d’un domaine maritime français de 11 millions de km2, le second après les USA, plus riche de potentialités futures que de richesses actuelles réelles). »