"En général, quand on pense bambou, on pense Japon, pandas… Non ! Nous, c’est la Martinique!" La voix est claire et forte, l’intention affirmée, la main ferme autour du micro. Dans un polo vert fluo, une jeune femme frêle et déterminée entame sa présentation. Jade n’a que 14 ans, elle est élève de 3e au collège Gérard Café au Marin en Martinique. Elle est aussi la PDG de Matinik Little Box, une micro entreprise de production de lunch box en bambou. Sur l’estrade, la parole circule : Anne-Sophie, la PDG adjointe, Keïddy, le secrétaire, et Lucas en charge de la communication de la jeune pousse antillaise.
Un festival de mini-entrepreneurs
Présidents, directeurs commerciaux, responsables communication et marketing… Ils sont 300 au total venus d'un peu partout en France et réunis ce mercredi à l'orée du Bois de Vincennes pour présenter leurs projets dans le cadre du Festival national des mini-entreprises. Derrière l’événement, Entreprendre pour apprendre France, une fédération de 16 associations régionales. Quatre d’entre elles se sont montées en Outre-mer ces dernières années : Martinique, Guadeloupe/Saint-Martin/Saint-Barthélemy, La Réunion et, désormais, Mayotte qui vient d’intégrer le réseau. "Et demain, les territoires français du Pacifique parce qu'on a vraiment cette volonté de se développer partout", confie Jérôme Lefèvre, le président d'Entreprendre pour apprendre France.
Cette année, un peu plus de 25 000 jeunes Français de neuf à 25 ans aux profils variés ont créé 2 000 mini-entreprises et ainsi tenté l'expérience de l'entreprenariat de façon pédagogique. Ils sont élèves de collèges, lycées, en centre de réinsertion ou encore intégrés dans une initiative de retour à l’emploi... Au total, 60 prix ont été décernés dans les différentes régions. Ce sont des représentants de ces équipes lauréates qui ont été invités pour un événement spécial à Paris. Pour Jérôme Lefèvre, "c'est un moyen de les valoriser, de reconnaître ce qu'il ont fait pendant un an."
Aux Antilles, les produits locaux avant tout
"Chaque année, nous emmenons des mini-entrepreneurs de la région Martinique de chaque catégorie : collège, lycée et insertion, indique Sabrina Marie-Sainte, présidente d'Entreprendre pour apprendre Martinique. Mais la crise sanitaire a conduit l'association locale a réduire ses ambitions en 2022, par peur de ne tout simplement pas pouvoir voyager. "Cette année, nous avons choisi d'emmener les meilleurs, toutes catégories confondues." C'est donc l'équipe de Matinik Lunch Box qui a eu le privilège de venir jusqu'à la capitale en ce mois de juin, "un projet avant tout éco-responsable, le fruit d'une étude de marché." "On a voulu valoriser une ressource qui n'est pas assez utilisée chez nous, le bambou. Il y a des meubles, mais ça ne suffit pas", précise Anne-Sophie Limeri, la PDG adjointe qui reconnait volontiers qu'elle a pris goût à diriger.
L'autre mini-entreprise antillaise présente à Paris cette semaine, c'est JJ Snack. "JJ" comme Jean Jaurès, le nom du collège de Baillif en Guadeloupe où l'idée est née. A 10h, au moment de la récréation, les mini-entrepreneurs y vendent de la nourriture saine et équilibrée : "des jus locaux, des fruits locaux et des fruits séchés, et aussi des sandwiches parce que c'est plus consistant", détaille Martel Salem, 13 ans, élève de 3e. Le slogan résume bien le concept : “plézi lokal, santé totale”. L'équipe a souhaité répondre à un besoin et une urgence de santé publique dans l'île : "Nous avons remarqué qu'au sein de notre collège, il y avait des élèves en surpoids, décrypte Maëlyne Largitte, 15 ans. On avait aussi un monsieur qui vendait des produits hyper gras comme des roulés aux saucisses ou des sandwiches qui ne sont pas bons pour les élèves, et aussi des sodas." Désormais, les produits proviennent en grande partie du jardin créole cultivé au sein de l'établissement.
Le développement durable made in La Réunion
"C’est confortable !" Assise au milieu d’une étroite allée bondée, Colette valide le concept du "pnouf", un pouf conçu à partir d’un pneu recyclé par des jeunes Réunionnais de L'Étang-Salé. Les élèves du collège Aimé Césaire ont remporté le concours régional dans la catégorie "collège" avec leur mini-entreprise baptisée Sedeo, "être assis" en latin. Comme toutes les équipes, ils sont invités à "pitcher" leur concept, c’est-à-dire à présenter leur projet au public en un temps limité. Aujourd'hui, c'est une minute trente secondes maximum. Un exercice qui réussit aux Réunionnais. En plus de présenter un concept durable basé sur la récupération et la valorisation, l’équipe relève brillamment un second défi : mêler élèves entendants et malentendants sans perdre en fluidité dans leurs discours. Pour y parvenir, ils peuvent compter sur Stéphane, leur interprète, qui traduit les interventions de Célia et Jérémy à l'attention du public.
Leur pitch fait mouche, le public applaudit chaleureusement. Au pied de l'estrade, quelques larmes coulent, la tension retombe. Les élèves enlacent la professeure de français qui les a accompagnés toute l'année. "C'est un travail qui a connu des hauts et des bas, mais avec de la persévérance et la fougue de la jeunesse, résume Sonia Boyer. C'était un challenge, mais c'est encore plus un enrichissement parce que les élèves ont appris à communiquer entre eux, et c'est formidable ! Il y a toute une humanité qui se crée au sein de l'entreprise." À La Réunion, l’association locale Entreprendre pour apprendre remonte à 2017. L’île de l’océan Indien a envoyé cette année deux équipes à Paris : ses champions "collège" et ses champions "lycée".
Les élèves du lycée Levavasseur de Saint-Denis présentent, eux, Glass Light, mini-entreprise de valorisation de bouteilles en verre. "Il y en a partout à La Réunion, jusque dans la mer !" Très à l’aise à l’oral, Alexia Witkowski, 17 ans, se fait la porte-parole de l'équipe avec une autorité naturelle. Ce n'est pas pour rien qu'elle est PDG. "On a une machine spécifique pour couper la bouteille en deux", explique-t-elle, un prototype dans les mains. Après un choc thermique et une séance de ponçage, les élèves transforment la partie inférieure en pot à cactus "récupérés dans nos jardins" et la partie supérieure en abat-jour. Ils ont développé un site internet pour vendre leurs produits. "Entre 20 et 25% des bénéfices sont donnés à l’association Petits Princes à La Réunion", précise Alexia.
Les Outre-mer, prix du meilleur stand
Dans le chalet du Lac en lisière du Bois de Vincennes, le stand des Outre-mer présente les prototypes des quatre équipes : la boîte en bambou martiniquaise, les encas guadeloupéens, des pots de cactus et des lampes en provenance de La Réunion. Le pnouf, lui, est posé au sol. La vingtaine d'élèves, leurs professeurs et leurs facilitateurs - bénévoles des associations Entreprendre pour apprendre - viennent à peine de se rencontrer, mais parviennent à collaborer et communiquer sans difficulté. C'est une autre réussite des projets de mini-entreprises : faire gagner de la maturité à tous ces adolescents.
Cerise sur le gâteau, au terme de la journée, les jeunes ultramarins sont récompensés du prix du "meilleur stand". "On est contents, c'est la fierté, réagit Martel Salem, l'un des fondateurs de JJ Snack. Notre stand était vraiment harmonieux, même si au début ça a été compliqué." Et pas question de s'arrêter là. Fort de son succès, le concept guadeloupéen de snack va se poursuivre à la rentrée au collège Jean Jaurès de Baillif, promet Ronald Baptista, le professeur de créole qui accompagne les élèves. En Outre-mer, comme dans l'Hexagone, pas question de se passer des bonnes idées.