Chaque mardi de juillet, le parc de Choisy vibre au son des tambours. Des cours de danses afro-antillaises sont assurés gratuitement, dans le 13e arrondissement, par la compagnie Dife Kako. Entre danseurs et tambouyens, le parc parisien se pare d'une joie et d'une énergie communicatives.
Pauline Rouquette•
La chaleur harassante de cette fin juillet ne les a pas découragés. Ils arrivent seuls, entre amis, ou en tenant un ou deux enfants par la main. La danse afro-antillaise, certains n'y connaissent rien, d'autres l'ont littéralement dans le sang. A 18 heures, ce mardi, tous convergent vers l'esplanade en béton rouge du parc de Choisy (13e arrondissement), où les attendent danseurs et musiciens de la compagnie Difé Kako. Tous, ont décidé d'accorder deux heures à leur corps pour s'adonner à une nouvelle activité... Et s'abandonner aux rythmes afro-caribéens.
Oser
"Le ridicule ne tue pas !" s'exclame Nadine Mondziaou, alors placée au centre du large cercle formé par la quarantaine de participants. Danseuse d'origine congolaise, formée spécifiquement aux danses guinéennes, c'est elle qui enseigne aujourd'hui. Un échauffement s'impose, entre mouvements dansés et grimaces forcées, le but est de prendre conscience de son corps et surtout, d'oser.
La session de ce jour s'articulera autour du mendé, cette danse guadeloupéenne de carnaval apparue après l'abolition de l'esclavage. Nadine Mondziaou motive ses troupes, il faudra danser, bien sûr, mais aussi donner de la voix. "Mendé la cho, mendé la cho, mendé la cho, mendé a la Gwadloup !".
"Mendé à la Gwadloup"
Petit à petit, la gêne se dissipe, chacun occupe l'espace, prend ses aises et se laisse aller, simplement.
Les danseurs entretiennent la cohésion du groupe. Mais ce sont avant tout les musiciens qui la créent. Jacques et Mav au djembe, Yann au tambour et Francis, tantôt à la calebasse, tantôt au ti-bwa. La danse sans la musique, n'existe pas. Tout comme le rythme... sans Francis. Le Guadeloupéen, originaire de Basse-Terre joue du ti-bwa. Assis sur sa chaise, un morceau de bambou bloqué entre les jambes, il est le métronome de groupe. Et il aime le rappeler. "Rythmiquement, je suis le pilier. Si je ne suis pas là, le tambour est à la rue" plaisante-t-il.
Francis joue dans la compagnie Dife Kako depuis seize ans, en tant que percussionniste accompagnateur. Son instrument du jour, le ti-bwa, est un instrument métronomique composé de deux baguettes que l'on frappe sur un morceau de bambou, ou à l'arrière d'un tambour bèlè.
En donnant le rythme, je vis ce que jouent les tambouyens. J’écoute… Eux sont à mon écoute parce qu’il me suivent, mais moi je vis et je ressens ce qu’ils jouent et à partir de là, il y a un groove !
A sa gauche, le tambour qui, sans lui, "serait à la rue", c'est le tambour zoban de Yann Villageois. Un tambour traditionnel guyanais qui ressemble au tambour ka guadeloupéen, mais pour lequel on a utilisé des bois de Guyane et des peaux de la faune guyanaise.
Tambouyen de père en fils, le jeune musicien de 25 ans, tresses dans le vent, a rejoint la compagnie il y a quelques mois lors d'un festival en Guyane, avant de les rejoindre définitivement à Paris, en mai dernier. "Le premier mot qui m’est venu à l’esprit est le partage. C’est quelque chose d’omniprésent chez Dife Kako, que ce soit dans la musique, la danse ou le chant."
Le mélange, le partage. C'est, selon lui, l'identité même de la compagnie. "Aujourd’hui je joue avec Jacques et Mav. Leurs djembes donnent la touche africaine. Moi, mon tambour me permet de faire des rythmes guyanais, mais aussi antillais. Il y a un vrai mélange entre des sonorités qui sortent de l’Afrique et celles que l’on connaît davantage dans la Caraïbe et la Guyane."
Au-delà des instruments, c'est la manière de jouer, en elle-même qui est différente. Tout dépendra de l'accordage des tambours. Pour cette session, axée sur le mendé, Yann a joué avec un tambour plutôt aigu. "Le style sera différent selon le rythme que l'on joue" explique-t-il. Il dépendra de la danse, de ce que le professeur veut partager avec le public, et de la palette de sons que peuvent reproduire les musiciens avec les instruments qu'ils ont en leur possession. "En général, on peut jouer de tout avec les tambours que l'on a, il faut juste que l'on s'adapte."
Le Kouroucien a beau être dans la compagnie depuis peu, il a déjà reçu de nombreux retours positifs de ces cours gratuits. Pour lui, l'apprentissage va au-delà de la pratique de la danse. Elle a aussi trait à l'histoire.
"Il y a beaucoup d’anecdotes avec l’histoire-même des rythmes et des danses : où ça se trouve en Afrique ? Quels sont les quadrilles que l'on danse en Guadeloupe ? Quelles sont les origines de l’afrobeat ? Il y a un apprentissage hors chorégraphie qui permet de se familiariser réellement avec ces styles de musique."
Ce mardi soir, encore, l'enthousiasme était omniprésent. "Une dame, qui était venue danser avec sa fille, nous a demandé si l'on organisait des cours pour les enfants. Les gens sont intéressés, portés par la dynamique, la diversité… C’est bon enfant, c’est de tout niveau, tout le monde peut venir, on se sent vraiment à l’aise... Et les gens reviennent !" se réjouit Tania Jean.
Le sourire pur, comme transcendée par deux heures de surpassement de soi et de découverte de l'autre, elle résume cette expérience en deux mots : joie et diversité. "Dans la compagnie, vous avez des Africains, des Antillais, des Cap-verdiens, des Français, il y a de tout… Même le public, les gens qui viennent danser sont de partout."
A ceux qui voudraient renouveler l'expérience, rendez-vous est fixé à mardi prochain, dernier cours de juillet mais aussi de l'été. Des cours qui, au-delà de la découverte artistique et culturelle, permet "des rencontres humaines" selon Tania Jean. "Moi, ça me rend heureuse."