Le réalisateur Franck Dalmat est né d'un père martiniquais et d'une mère métropolitaine. Il a grandi en Vendée. Durant son enfance, il passe les étés en Martinique, mais n'est jamais présent sur l'île en février au moment du carnaval. Pour rattraper le temps perdu, il décide de partir sur les traces de cet événement "volcanique" dont il a rêve toute sa vie. De la naissance du carnaval durant la colonisation, en passant par son heure de gloire à Saint-Pierre au début du XXe siècle, jusqu’au carnaval que l’on connait aujourd’hui, il croise la route de nombreux témoins. Tous sont d’accord sur une chose. Cet évènement incontournable du patrimoine culturel de l’île a toujours été un pied de nez festif et joyeux aux pouvoirs, aux institutions et aux préjugés.
Aux origines du carnaval de Martinique
Il faut remonter aux premières décennies de la colonisation pour trouver la source du carnaval martiniquais. En 1651, le gouverneur Jacques Dyel du Parquet achète la Martinique, Sainte-Lucie, Grenade et les Grenadines à une Compagnie des îles d’Amérique totalement ruinée. Pour faire plaisir à son épouse Marie du Parquet, dite Marie Galante, il décide d’organiser, au château de l’habitation La Montagne, des cavalcades et des fêtes burlesques, dans lesquels les convives sont invités à arriver masqués. Le carnaval devient une période de fête, d’orgie et de déguisement. Le mardi gras marque le début du Carême, temps de prière et de jeûne, 40 jours avant Pâques. À ce moment là, les esclaves ne pouvaient participer à ces réjouissances carnavalesques. Ils prirent cependant le goût d’imiter leurs maîtres et se reçurent dans leurs quartiers. Un autre carnaval y prend naissance : tambours, ti bwa, toutoune bambou et conques de lambis remplacent les clavecins, violons et violoncelles. Les esclaves défilent parfois déguisé en maître, sans risquer de représailles. Ce moment est vécu comme une parenthèse, un répit de quelques jours par an, jusqu’à l'abolition de 1848.
Explosion carnavalesque à Saint-Pierre après l'abolition de l'esclavage
Désormais libres de circuler, les anciens esclaves transportent leur tradition de convois (l’ancêtre du vidé) dans les rues de Saint-Pierre. Les dimanches précédant mardi gras, des foules en liesse envahissent les rues du Petit Paris des Antilles, tandis que les riches défilent à cheval. Ce comptoir colonial est alors un port incontournable de la région, dans lesquels se produisent des troupes de théâtre ou de cirque venues du monde entier. La créativité des carnavaliers y semble sans limite. C’est dans ses rues, et à l’occasion des bals organisés en soirée, que vont naître les principaux personnages du carnaval, comme Marianne La Po Fig, Caroline Zié Loli, les Nèg Gwo Siwo et autres Touloulous.
La malédiction de la montagne Pelée
En 1902, la ville de Saint-Pierre est détruite suite à l'éruption de la Montagne Pelée. Certains considèrent alors qu'elle est une punition divine résultant du carnaval et son irrévérence peu catholique. L'éruption serait une malédiction, une conséquence du comportement irrespectueux des habitants. Le parallèle est fait avec Sodome et Gomorrhe, celui d'une société pervertie qui subit une justice divine par le feu et la purification.
Premières heures du Carnaval Foyal
L'éruption de la Pelée aurait pu avoir raison du carnaval, mais il va finalement renaître de ses cendres quatre ans plus tard avec les premiers défilés organisés sur la place de la Savane à Fort-de-France. On est encore très loin de la liesse Pierrotine, mais il existe déjà un vidé plus populaire, du côté des Terre Sainville. Il faut attendre la seconde moitié du 20e siècle pour voir les festivités s’organiser réellement à Fort-de-France, avec la création d’un Comité Actif du Carnaval. Les participants sont de plus en plus nombreux et la place de la Savane ne suffit plus à les contenir. Le tracé du circuit s’élargit jusqu’au boulevard de la Levée (actuel Boulevard Général de Gaulle). Les orchestres défilent sur des chars et tous les personnages emblématiques du carnaval de Saint-Pierre sont de retour dans le vidé.
Les groupes à pied débarquent dans le vidé
La dernière grande "innovation" du carnaval martiniquais sera l’arrivée des groupes à pied. Le premier à sortir est le Kanaval Bo Kannal (ancien nom de Tanbou Bo Kannal) en 1973. L’idée est alors de "casser" l’image folklorique du carnaval en renforçant son apport africain, grâce au retour en force du tambour. C’est ainsi qu’est créé le Kalenbwa, mélange de rythme traditionnel Kalenda et de musique Chouval Bwa. Un rythme qui enchante toujours le vidé aujourd'hui.
Les personnages emblématiques du carnaval martiniquais
- Sa Majesté Vaval
La marionnette géante, le Roi du Carnaval est en tête des chars et de la parade. Il représente soit un personnage, un fait divers, un fait politique, ou un sujet des actualités locales, nationales ou internationales. Préparé plusieurs mois à l'avance dans le plus grand secret, il apparaît le Dimanche Gras en tête de défilé, après une confection faite dans le plus grand secret par diverses associations de la ville. Durant tous les jours gras, il est célébré et mis à l'honneur jusqu'au mercredi soir où il est incinéré dans une place proche de la Baie de Fort-de-France " le Malecon".
- Le diable Rouge
Le diable rouge vient directement d'Afrique. Le masque est fabriqué en utilisant divers matériaux et objets de récupération comme des miroirs et s'inspirant des masques de moisson à Casamance, une région au sud du Sénégal. Il porte des cornes de bovin et ne laisse apparaître que les yeux. Ils sont à l'honneur le Mardi Gras, qui est parfois surnommé "journée des Diables rouges".
- Le Nèg Gwo Siwo
Ce personnage, à l'image du coupeur de canne, symbolise l'esclavage, il est badigeonné de sirop de canne mélangés avec du charbon. Hommage symbolique aux "neg marrons" fugitifs qui, à l’époque de l’esclavage, se badigeonnaient de cette mixture pour échapper au regard et à la vigilance de leurs maîtres.
- Les hommes d'argiles
Ce sont des travailleurs de la "Poterie Des Trois Ilets" l'une des plus anciennes entreprises martiniquaises actuellement encore en activité.
Du dimanche gras au mercredi des cendres, plus rien ne peut s’opposer au délire carnavalesque des Martiniquais. C’est la liberté́ et rien d’autre !
Avec entre autres :
- Nicole Séraline, guide conférencier
- Père Jean-Michel Monconthour, curé de la cathédrale Saint-Louis de Fort-de-France
- Guy Méthalie, artiste chansonnier
- Thierry Letang, anthropologue
- Moïse Udino, sociologue
- Anne Bérisson, présidente du comité carnaval sud de Martinique
- Henri Noléo, ancien membre fondateur des de l'association
- Marie-Line Psyché-Salpétrier, présidente de l'association recherches et traditions
- Freem, artiste
- Miguel René-Corail, groupe Wélélé Bann
- Alain Ajax, chanteur
Réalisation Frank Dalmat
Coproduction Jonathan Politur - Puzzle Media / France Télévisions-Martinique la 1ère
52 minutes - 2022