Du cinéma dans l’Oreille est hardie : "Freda", Gessica, Haïti, mêmes combats

Après le documentaire Douvan jou ka lévé, multi-primé l’an dernier, notamment au FIFAC, Festival International du film documentaire Amazonie, la réalisatrice haïtienne Gessica Généus signe "Freda", sa première œuvre de fiction qui raconte les femmes d’un quartier difficile. Sensible et instructif.

Elle vous accueille dans le salon d’un hôtel parisien avec un sourire et des mots de bienvenue si chaleureux qu’ils désarment vos balbutiements d’excuses pour les quelques minutes de retard. Gessica Généus, c’est déjà une présence avant même que ne débute l’entretien pour cette Oreille est hardie.
Lors de ces quelques jours parisiens, le rythme de la promotion est dense pour Gessica. Mais son premier film de fiction en vaut la peine. Freda sort sur les écrans le 13 octobre prochain et après tout ce qu’elle a traversé pour que le film voit le jour, ce n’est sûrement pas une promo effrénée qui va lui faire peur.

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Film de femme(s)

Quand elle se présente dans l’Oreille est hardie, par le jeu de l’auto-portrait, c’est d’abord pour rappeler qu’elle est haïtienne et qu’elle a grandi entourée de femmes. Voilà peut-être qui explique en grande partie que ce sont avant tout des femmes qu’elle a voulu filmer dans Freda et qu’elle a accompagnées de sa caméra. Leur rendre hommage, les célébrer, montrer qui elles sont, avec leurs forces et leurs faiblesses, toutes générations confondues. 

Freda, Jeannette, Esther et les autres

Que ce soit Freda, jeune étudiante, vive, intelligente, drôle, idéaliste, sa mère Jeannette, désabusée, au pas pesant et traînant comme si elle portait la misère d’Haïti sur ses épaules, sa sœur Esther, convaincue que son salut dans la vie passe par des hommes qui ont les moyens ou sa cousine Géraldine qui va se rendre compte de la lâcheté des hommes… tous les personnages féminins mis en scène par Gessica Généus sont une facette d’elle-même, peut-être aussi plus sûrement et durement, un visage d’Haïti.

Néhémie Bastien et Fabiola Henry dans "Freda"

Un film sur les tensions en Haïti...

Quant à Haïti justement et plus singulièrement Port-au-Prince, c’est sans concession qu’ils se retrouvent dépeints dans chaque séquence du film. Gessica Généus vient du documentaire et à ce titre, elle sait capter la réalité des situations et l’instiller ou la fixer en images. Quelques moments du film sont des images brutes prises à la volée de ce que le pays vivait alors.
"Alors", c’est en 2018. Le film Freda se déroule au moment où la population de Port-au-Prince se soulève contre la hausse des prix des carburants, qui vient un peu plus étrangler les usagers. Les 6 et 7 juillet, 2018, les manifestations tournent à l’affrontement entre protestataires et forces de l’ordre. Un climat de contestation, quasiment d’insurrection, s’ensuit et s’installe, rendant les rues encore plus instables et électriques.

...et tournage sous tension

C’est dans un contexte similaires de tensions que Gessica Généus va tourner son film, la température du climat politique et social ne retombant pas en Haïti. Profitant de chaque accalmie, de chaque bonne volonté et de la bienveillance de la population, Gessica Généus tourne vite, en un mois, pour mettre en boîte Freda. Le scénario qu’elle a imaginé ne peut et ne veut faire abstraction ni de la situation politique et sociale, ni de la précarité des lieux, ces quartiers sensibles de la capitale haïtienne que la réalisatrice connaît bien pour avoir grandi dans des quartiers similaires.

Où sont les hommes ?

Freda, raconte Gessica Généus dans ce numéro de l’Oreille est hardie, c’est donc une forme d’hommage à son pays et aux femmes d’Haiti, c’est un regard tourné vers elles qui, quand il le faut, savent se passer des hommes. D’ailleurs, ils sont absents dans le film : soit ils jouissent d’un pouvoir exercé de façon imbécile sur les femmes, que ce soit par le biais de l’argent, de la religion ou des soit-disant sentiments, soit ils ne rêvent que de quitter Haïti, à la recherche d’une meilleure fortune, sans chercher à vraiment résister ou se battre sur place pour améliorer leur sort, celui de leurs proches ou celui de la société. Gessica Généus pour autant ne donne pas de leçons se contentant de dépeindre ses personnages à l’identique des gens qu’elle a croisés et qui l’entourent, avec pour ses heroïnes perdues beaucoup d’indulgence et de bienveillance. Une peinture sur le vif, sans fioritures, sans jugement et empli d’humanité.

La réalisatrice Gessica Généus dans "l'Oreille est hardie"

Écoutez "l’Oreille est hardie" avec Gessica Généus…

…et apprenez de la bouche de la réalisatrice-productrice pourquoi il était important que son film Freda existe, qu’il puisse voyager et être ainsi le témoignage d’une Haïti où il est certes compliqué, difficile de vivre mais où malgré tout il est possible de créer, de donner à voir des œuvres d’art, d’admirer une belle et grande culture et de faire grandir l’intérêt et l’amour pour ce pays. Gessica Généus s’y emploie et, déjà à la vision de « Freda », y réussit plutôt bien à notre goût. 
Gessica Généus se raconte et dévoile aussi son prochain projet !… Découvrez lequel dans l’Oreille est hardie :

"Freda" de Gessica Généus, sortie nationale le 13 octobre 2021.