E-sport : les territoires ultramarins s’unissent pour briller à l’international

La France s’est fixé un objectif : devenir le leader européen du secteur de l’e-sport d’ici à 2025. Pour y parvenir, l’État entend structurer et encadrer la discipline jusque dans ses territoires ultramarins. Une initiative saluée par les principaux acteurs du secteur malgré la persistance des inégalités de développement entre l’Hexagone et les Outre-mer.

Bien que la pratique de l’ "e-sport" soit méconnue par une grande partie de la population, elle suscite pourtant un véritable engouement chez plus de 10 millions de Français (selon une enquête réalisée par l'Association France Esport et Médiamétrie).

Cette discipline, qui se concrétise par la pratique de jeux vidéos en compétition, a la particularité de respecter précisément toutes les caractéristiques d'un sport dit " traditionnel". De l'entrainement jusqu'à la quête de la performance ou encore du respect d'une certaine hygiène de vie. L'écosystème "e-sport", comme pour la quasi-totalité des sports, découle par ailelurs d'investissements, tant au niveau des infrastructures que dans l'accompagnement des sportifs.

Et la différence se fait sentir entre l'Hexagone et les Outre-mer où beaucoup, comme Tristan Brandily, président de la Fédération Française de Jeux Vidéos ( FFJV), pointent les fortes "disparités" et l' "inégalité de la répartition de la connexion et du numérique" sur les territoires ultramarins. Pour palier à cela, des associations, comme Gigagames en Guadeloupe, organisent avec le soutien des collectivités locales, leurs propres compétitions qui rassemblent les Caraïbes, l'Océan Indien ou le Pacifique jusqu'à toucher le marché américain.

Une pratique à distance 

Dans cette discipline entièrement numérique, l'accès à Internet ainsi qu'aux serveurs est primordial. Au-delà de la problématique liée à la connexion internet, les joueurs ultramarins sont confrontés à d'autres défis, particulièrement l'éloignement avec Paris. Un aspect majeur que souligne le président de la FFJV. À un certain niveau et pour certains types de jeux, " le 1/4 de seconde de latence désavantage vraiment les ultramarins" ce qui constitue une limite pour les e-joueurs ultramarins face à leurs concurrents continentaux.

Même son de cloche du côté de Steven, frère et manager d'Adrien Thors, esportif professionnel à AS Monaco " lorsque  "Ad' " (Adrien Thors) a commencé à jouer contre des joueurs professionnels, ils se plaignaient de la latence qu'il y avait lors des parties. Pour que ça ne fasse pas de polémique, nous avons décidé d'évoluer". Le joueur réunionnais, recruté par le LOSC puis par l'AS Monaco a vu sa vie changer du tout au tout.

Pour son frère, la seule solution pour concrétiser son rêve était de "partir de l'île". Sous le pseudo d' "AdRXx", le jeune Réunionnais a gravi toutes les étapes avant de se faire repérer par le club nordiste. En enchainant les compétitions organisées sur son île, Adrien Thors a vite senti qu'il avait une carte à jouer dans la compétition de jeux vidéos. Pourtant, il n'avait pas le profil stéréotypé du joueur constamment devant son écran Mais sa passion et les louanges reçues l'ont très vite convaincu de professionnaliser son activité. 

Des initiatives 100 % ultramarines 

De mieux en mieux encadrées dans les territoires ultramarins, les associations de jeux vidéos ne cessent de se développer, grâce notamment aux collectivités locales qui appuient et financent une partie des compétitions organisées.

Réunissant des centaines de joueurs lors de leurs évènements, les collectifs associatifs ne font qu'évoluer et présentent des joueurs sur la scène internationale. C'est par exemple le cas de GigaGames, une association membre de la fédération Guadeloupe Esport qui réunit entre 300 et 500 joueurs à chaque événement. Pour les autres territoires ultramarins, les compétitions prennent aussi de l'ampleur, c'est le cas pour l'association martiniquaise Lan.Est.Party qui organise le festival Madaou ou encore le Volcano Gaming Tour à La Réunion.

Et parmi ces collectifs grandissants, tous reconnaissent l'importance du soutien local. Pour Samuel Jourson, président de Giga'Games, membre de la Fédération Guadeloupe d'Esports, " leur appui (ndrl des collectivités locales) est très fort, ils reconnaissent l'esport en tant que tel". Pour le président de la Fédération Française de Jeux Vidéos, "c'est bien plus que ça". Il estime que les Outre-mer "sont un exemple en termes de relation avec ses collectivités". L'aspect associatif, lié à la proximité entre la population et les collectivités serait plus puissant sur les territoires ultramarins, ce qui atténuerait le manque cruel de visibilité sur certaines pratiques. De plus, les joueurs ultramarins sont soumis aux taxes d'importation qui font exploser les prix des consoles et des composants informatiques. C'est là qu'interviennent également les collectivités en débloquant des budgets ou en mettant à disposition du matériel. 

Il y a ce côté "asso" qu’on est en train de perdre dans l’esport avec tout le côté économique de rentabilité et de marketing, et ça nous touche directement. C’est l’une des raisons pour laquelle les OM ont du mal à avoir de la visibilité. C’est plus compliqué d’atteindre des gros partenaires. En revanche, c’est plus simple d’atteindre les collectivités locales dans les OM. Il y a vraiment une grande proximité enter ces deux parties

Tristan Brandily - Président de la FFJV

Et la France entend bien investir dans ce domaine. Le Président Macron a reçu cette année les joueurs professionnels à l'Élysée, en signe de reconnaissance. " C'est un bon début" pour le Guadeloupéen Samuel Jourson qui attend dorénavant un encadrement plus approfondi des joueurs, sur le plan juridique et social. De leur côté, même si les acteurs du monde du jeu vidéo attendent davantage dans les Outre-mer, ils n'hésitent pas à tout mettre en œuvre depuis une dizaine d'années pour ne pas être dépendant des actions de l'Hexagone.

Même si on fait partie de l’ensemble français et que géographiquement, on est éloignés, que cela soit au niveau des serveurs qui sont localisés en Amérique, on fait tout pour s'organiser en tant que caribéen pour être présent sur la scène internationale.

Samuel Jourson - Président de GigaGames - Fédération Guadeloupe d'e-sport

Et cette reconnaissance, " qui prendra du temps" pour le manager du réunionnais Adrien Thors, passera également par la prise de conscience collective de l'effort à fournir lors des parties de jeux vidéos à un niveau ultra-compétitif. 

L'e-sport, un "vrai" sport ?

Qu'on ne s'y trompe pas, les joueurs professionnels de jeux vidéos n'ont rien à envier aux autres athlètes" notamment sur les sacrifices qu'exige le sport de haut niveau. D'un point de vue physique tout d'abord, chaque épreuve dans le monde virtuel se prépare et nécessite d'avoir une grande capacité de concentration et de régularité. Pour Samuel Jourson " un joueur qui sort d’une compétition face à un joueur de très bon niveau va ressentir autant de fatigue que dans une discipline sportive « traditionnelle » ". Pour lui, " l’adrénaline et la concentration permettent de créer autant de dépense chez le joueur qu’un sportif normal". 

Du point de vue moral aussi, le Président de l'association guadeloupéenne, ajoute qu'ils "suivent les mêmes valeurs" telles que le respect de l'adversaire, l'engagement pour des grandes causes comme la lutte contre le racisme et la xénophobie. 

L’e-sport permet de rendre une population aussi fière de porter les couleurs de son drapeau dans une compétition. Que cela soit dans la pratique e-sport ou physique, le soutien de population est aussi fort lorsque les joueurs gagnent et représentent le pays.

Samuel Jourson, Président de GigaGames

Pour l'heure, les ultramarins continuent de briller à l'international grâce à leurs performances à l'image de Jiren et ML9 qui représenteront la Guadeloupe aux championnats du monde en Roumanie pour affronter les meilleurs joueurs internationaux sur Tekken ou E-football (ex PES, jeu de football) du 24 août au 4 septembre 2023.