Cet imposant bâtiment de 6 étages et 4.000 mètres carrés qui se dresse en plein centre-ville "était le coeur, le fleuron de la culture en Guadeloupe pendant trois décennies, des années 1970 aux années 1990", se souvient Laurence Maquiaba, membre du Kolèktif Awtis Rézistans (collectif des artistes en résistance).
Avec une trentaine d'autres, cette quadragénaire organisatrice de spectacles occupe les lieux depuis le 5 juillet 2021 pour "faire bouger les lignes". Le chantier de la rénovation et de l'agrandissement du CAC était alors à l'arrêt "après des faillites d'entreprises". Depuis, les murs de béton brut ont pris des couleurs, le silence de l'abandon a laissé place à la musique de la création.
"On y a dormi pendant huit mois", explique Laurence Maquiaba. Ateliers créatifs, spectacles de danse, théâtre, concerts, oeuvres picturales, sculptures, au total "300 artistes environ, venus de différents pays, ont participé", raconte l'artiste. Certains caressent désormais l'espoir qu'il devienne "un tiers lieu" et que "le côté laboratoire puisse continuer", précise-t-elle.
"Belles réalisations"
Antonwé Vila, un Guadeloupéen de 54 ans, barbe grisonnante tressée et yeux verts perçants, accueille les visiteurs. En blouse et baggy bleus tachetés de peinture, l'artiste formé aux Beaux-Arts montre la balustrade ornementale de l'entrée. "Au tout début, il y avait un tas de fers à bétons et je me suis amusé à piocher dedans pour créer des choses". Présent "quasiment tous les jours pendant un an", Antonwé Vila se dit "un peu fatigué maintenant" par l'occupation.
A côté de lui, Freah, un jeune papa, salue quelques "belles réalisations". "Il y a enfin une âme sur le lieu. C'est mieux qu'un gros bloc de béton au milieu de la ville mais j'aimerais qu'il soit sécurisé". Car à l'étage, les créations d'artistes, de type mur végétal, ne suffisent pas à combler certains espaces donnant sur le vide. Des gouttières en plastique permettent à peine de cacher le jour entre deux bâtiments et les fientes de chauves-souris commencent à recouvrir certaines oeuvres.
Le bâtiment n'est pas étanche et les flaques d'eau y apparaissent à chaque épisode pluvieux. Elu en 2020, le maire de Pointe-à-Pitre Harry Durimel trouve "de plus en plus joli" ce qu'il voit sous ses fenêtres. Mais refuse de visiter le site tant qu'il n'a pas d'existence légale. "Ça commence à égayer ma vue, je vois Maryse Condé (écrivaine guadeloupéenne dont le visage peint en géant orne la façade du CAC, NDLR), des visages, de la couleur et grâce à eux, on parle du Centre des arts ", se réjouit le maire.
Financements
Harry Durimel a proposé aux artistes de "passer une convention" afin de "les responsabiliser". Non, a répondu la communauté d'agglomération, Cap Excellence, maître d'ouvrage du projet. Elle a opté pour un programme de travaux "en deux phases" à partir du premier semestre 2023, selon Francesca Faithful, sa vice-présidente en charge de la culture.
La première concerne "la mise hors d'eau et hors d'air du bâtiment", l'aménagement du hall d'accueil ou d'une grande salle de spectacle de 1.200 places. La seconde la réalisation d'un restaurant, d'espaces commerciaux, d'un studio d'enregistrement ou de bureaux. "Du bluff", répond le maire, pour qui ce projet "pharaonique (...) annoncé à 17 millions d'euros avant d'être finalement évalué à 39 millions" est loin d'être bouclé financièrement.
En attendant, certains artistes comme Antonwé espèrent quitter le CAC "le plus rapidement possible et avoir la garantie que les travaux seront entamés et, enfin, finis". Pour Florence Naprix, la porte-parole du Kolèktif Awtis Rézistans, l'occupation ne visait pas à s'approprier le bâtiment mais, au-delà, à ouvrir des discussions pour "déterminer une politique culturelle propre à la Guadeloupe". Laurence Maquiaba, elle, "réfléchit à créer un comité culturel guadeloupéen pour que les collectivités ne puissent plus faire des choses comme ça".