Etablissements surpeuplés, élèves qui vont en classe le ventre vide, décrochage… Une étude menée entre septembre 2019 et avril 2021 par quatre chercheurs rattachés à l’Université de Guyane, avec le soutien de l’UNICEF et du Défenseur des droits, revient sur les défis du système scolaire guyanais. En principe, l'accès à l’éducation est un droit fondamental, garanti par l’Etat à tous les enfants en France, sans condition d’origine ou de nationalité. De fait, en Guyane, une forme de sélection s’opère à l’entrée du système scolaire, puisqu’il n’y a pas assez de places pour accueillir l’ensemble des jeunes à scolariser.
85 000 enfants étaient scolarisés en Guyane en octobre 2020, un chiffre qui augmente d’environ 3% par an. Selon la Cour des compte, jusqu’à 10 000 enfants et jeunes ne seraient pas scolarisés sur le territoire guyanais. Faute de moyens, les données disponibles sur la non-scolarisation en Guyane ne sont pas précises, ce qui conduit, selon les chercheurs, à "une inadéquation" entre le nombre de classes ouvertes et la demande. De plus, la forte croissance démographique rend ces données rapidement obsolètes : le rapport pointe un "retard de dix ans" dans la construction d’écoles, de collèges et de lycées.
Près de 15% des 15-17 ans vivant sur le territoire ne sont pas scolarisés, contre 5% en moyenne au niveau national.
Difficultés pour entrer dans le système scolaire
Pour de nombreuses familles étrangères, les difficultés administratives pour inscrire leurs enfants dans le système scolaire se conjuguent à une maîtrise imparfaite ou inexistante du français. Le personnel de l’Etat n’est pas formé pour traiter les demandes d’usagers ne maîtrisant pas le français, et certaines familles, vivant dans des habitats informels, ne peuvent pas fournir certaines pièces justificatives.
Des familles résidant dans des quartiers informels sont toujours contraintes de recourir à (voire d’acheter) de fausses attestations d’hébergement (…) pour répondre à la demande de justifier d’une adresse officielle lors de l’inscription scolaire.
Les chercheurs soulignent également "l’exigence illégale" de certaines pièces administratives, le refus par certains agents administratifs d’enregistrer la demande d’inscription, ou le placement sur liste d’attente des enfants pendant des mois.
Offre de restauration scolaire et de transports insuffisante
Une fois la place trouvée, reste à régler le problème du transport. Les demandes d’inscriptions étant supérieures aux places disponibles, les élèves sont souvent affectés dans des établissements très éloignés de leur domicile. Le coût, voire la dangerosité, des transports scolaires -pirogue, bus ou taxis privés - multiplient le risque d’absentéisme et de décrochage.
De nombreux établissements guyanais ne proposent pas de service de cantine. Dans un territoire où plus de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, cela signifie que beaucoup d’enfant assistent aux cours le ventre vide, ce qui favorise les retards d’apprentissage.
Un territoire peu attractif pour les enseignants
La Guyane est un territoire peu attractif pour les professionnels de l’Education nationale : selon le rectorat, il y a "en moyenne, une demande d’entrée de titulaires pour dix demandes de sorties du territoire". Les écoles recourent massivement aux contractuels, et les enseignants en poste changent très souvent. Par exemple dans la commune de Grand-Santi, isolée et donc peu attractive, "six professeurs sur sept manquaient à l’appel dans deux écoles primaires de la commune" à la rentrée 2019.
Cumulées, les absences des enseignants représenteraient pour chaque enfant une perte d’un an à un an et demi de scolarité effective.
Les professeurs qui exercent en Guyane ne sont pas formés pour donner cours à des élèves dont la langue maternelle n’est pas le français. Ils ne disposent pas non plus de matériel adapté, comme des manuels bilingues. Or 70% des enfants scolarisés sur le territoire n’ont pas le français pour langue maternelle. 51% des jeunes Guyanais de 17 à 18 ans ont des difficultés avec la lecture, contre 11,5% en moyenne au niveau national. Selon le rapport, il faudrait intensifier le dispositif des intervenants en langue maternelle (ILM) qui vise à valoriser le plurilinguisme pour consolider les apprentissages.
Le rapport préconise, entre autres, de simplifier le système d’inscription dans le circuit scolaire et d’encourager les communes à enregistrer toutes les demandes d’inscriptions pour disposer de chiffres fiables et adapter l’offre scolaire à la demande. Il recommande également d’adapter la formation des enseignants, de proposer un service de cantine dans plus d’établissements et d’envisager la gratuité des transports scolaires.