Explosion de dengue en Asie du Sud-Est : une bactérie pour l'éradiquer ?

Coordinateur du projet au Vietnam, Nguyen Viet Hoang examine des échantillons de moustiques à l'Institut National de l’Hygiène et de l’Épidémiologie à Hanoï.
Des centaines de morts aux Philippines, des hôpitaux envahis de malades au Vietnam, en Malaisie, en Birmanie et au Cambodge: une épidémie de dengue ravage l'Asie du Sud-Est, et les scientifiques s'attaquent à la propagation du virus avec une expérimentation testée dans neuf pays dont le Vietnam.
 
Conduite par le programme mondial de lutte contre les moustiques, elle consiste à injecter à des moustiques en laboratoire une bactérie, la wolbachia, qui réduit considérablement une possible transmission à l'homme de la dengue, mais aussi d'autres virus comme le Zika, le Chikungunya ou la fièvre jaune.
En 2018, des milliers de moustiques infectés par la bactérie Wolbachia avaient été relâchés en Floride pour tenter d'éradiquer le virus zika.
 

86% de cas en moins

Une fois les insectes lâchés dans la nature, ils se reproduisent avec l'espèce vecteur de ces maladies. Les bébés, porteurs de la bactérie, n'ont qu'une infime chance de transmettre le virus. Au Vietnam, les premiers résultats sur la dengue - principal virus transmis par les moustiques dans le monde - sont prometteurs. "Nous avons constaté une importante baisse des cas" à la suite de cette expérimentation, indique à l'AFP Nguyen Binh Nguyen, l'un des coordinateurs du projet au Vietnam.
    
Son équipe a relâché l'an dernier environ un demi-million de moustiques porteurs de la wolbachia à Vinh Luong, un district surpeuplé dans le sud du pays, particulièrement vulnérable à la dengue. Depuis, les cas ont diminué dans cette zone de 86% par rapport à la station balnéaire voisine de Nha Trang, assure Nguyen Binh Nguyen. Et les habitants sont soulagés car si les insectes continuent de circuler, la majorité sont désormais porteurs de la wolbachia.
"Je me sens plus à l'aise maintenant (...) mais je dois tout de même continuer à faire attention", relève Cong Thi Thu, une comptable qui, avec ses deux enfants, a été victime d'une sévère crise de dengue en 2016. La dengue, dont les symptômes (douleurs articulaires, forte fièvre, vomissements...) s'apparentent à un syndrome grippal, touche plus sévèrement les enfants, en particulier les jeunes filles, bien que les scientifiques ne sachent pas pourquoi. Aucun traitement spécifique n'existe.
 

Plus de 1.800 décès en 2019

Depuis le début de l'année, cette maladie frappe de plein fouet l'Asie du Sud-Est : au moins 670.000 personnes ont été infectées et plus de 1.800 sont décédées dans la région, selon des données compilées par l'AFP à partir des chiffres de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et des autorités sanitaires de ces pays. En cause : les températures élevées et une nouvelle souche du virus qui se propage vite parmi les populations non immunisées. Les moustiques qui transmettent la dengue à l'homme prospèrent le plus souvent dans des zones urbanisées chaudes et humides, où l'eau stagnante est abondante.
    
La moitié des habitants de la planète vivent dans des zones à risque, principalement en Amérique latine, en Afrique et en Asie. Perturbation des écosystèmes, déplacements des populations et des marchandises à cause de la mondialisation, urbanisation galopante sans assainissement des eaux, réchauffement climatique: "le cocktail est parfait pour que l'épidémie" progresse très rapidement, souligne Rachel Lowe, professeure adjointe à la London School of Hygiene & Tropical Medicine.
    
Il existe quatre souches du virus. Une personne infectée est immunisée à vie contre celle qui l'a contaminée. Mais si elle est touchée par une autre forme, les symptômes sont souvent beaucoup plus importants.
 

Vaccin ou bactérie ?

Il existe un vaccin contre la dengue, mis au point par le laboratoire Sanofi Pasteur et approuvé pour utilisation dans une vingtaine de pays et dans l'Union européenne. Mais il est controversé. Aux Philippines, son déploiement raté en 2016 s'est traduit par la mort de dizaines d'enfants et a conduit à son interdiction.
La communauté scientifique s'intéresse aujourd'hui d'autant plus à la bactérie wolbachia que les insecticides pulvérisés à grande échelle dans certaines zones d'Asie du Sud-Est ne sont efficaces qu'à court terme et que les moustiques développent une résistance à ces produits. Présente dans 60% des espèces d'insectes, la wolbachia a été découverte pour la première fois dans les années 1920 chez des moustiques vivant dans le système de drainage situé sous l'Université d'Harvard aux États-Unis. 
    
D'autres travaux, notamment en Malaisie et à Singapour, utilisent la wolbachia, mais la méthode est différente : les chercheurs infectent les moustiques mâles avec elle, ce qui les rend "incompatibles" avec les femelles non infectées et empêche ainsi les oeufs pondus de se développer et d'éclore.
    
En l'absence d'études à grande échelle, il est encore trop tôt pour se prononcer sur le réel succès des expériences ayant recours à cette bactérie. "Au bout du compte, notre objectif est de nous assurer que cela conduira à une véritable réduction de la maladie", relève Raman Velayudhan, coordinateur à l'OMS du programme mondial de lutte contre la dengue.