Festival La 1ère. Gisèle Pineau, écrivaine guadeloupéenne : "Les femmes qui écrivent sont dangereuses parce qu'elles déboulonnent des monuments"

Gisèle Pineau - Les femmes qui écrivent sont-elles dangereuse ?
Lors d'un procès fictif organisé par le Parlement des écrivaines francophones dans le cadre du Festival La 1ère, cinq auteures ont débattu du rôle des femmes de lettres dans la société. Parmi les invitées, la romancière guadeloupéenne Gisèle Pineau a défendu le pouvoir des mots. Entretien.

C'est un procès peu ordinaire qui s'est tenu ce 31 mai à la friche La Belle de Mai de Marseille, dans le cadre du Festival La 1ère. Des femmes de lettres étaient appelées à la barre, accusées d'être dangereuses, notamment pour les hommes. Sont-elles coupables ou non coupables ?

Ce procès fictif était organisé par le Parlement des écrivaines francophones, une organisation d'auteures défendant la voix des femmes. Le public, à qui a été confié le rôle de jury, était appelé à trancher. Un bel échange entre Fawzia Zouari (écrivaine tunisienne), Hyam Yared (écrivaine libanaise), Gisèle Pineau (écrivaine guadeloupéenne), Catherine Cusset (écrivaine bretonne) et Marijosé Alie (écrivaine martiniquaise), qui a permis de souligner l'importance du rôle joué par celles qui racontent, celles qui dénoncent, celles qui militent, celles qui rappellent.

Des membres du Parlement des écrivaines francophones animent un procès fictif sur le thème "Les femmes qui écrivent sont-elles dangereuses ?".

Dans cette affaire, Gisèle Pineau, romancière originaire de la Guadeloupe et auteure d'une trentaine d'ouvrages, jouait le rôle de l'accusée, de celle qui "croit au pouvoir des mots". Elle nous a accordé un entretien. 

Outre-mer la 1ère : Que nous vaut votre présence au Festival La 1ère, à Marseille ?

Gisèle Pineau : J'appartiens au Parlement des écrivaines francophones. Nous avons eu l'idée de créer un procès et de poser la question : est-ce que les femmes qui écrivent sont dangereuses ? Dans cette présentation – un peu tronquée parce qu'habituellement, il y a plus 15 écrivaines qui témoignent –, il y a une vraie cour, avec un juge, des procureurs... Les femmes témoignent et disent pourquoi, oui ou non, les femmes qui écrivent sont dangereuses. Moi, je suis une accusée, puisque que je dis "oui, les femmes qui écrivent sont dangereuses".

Vous y croyez ?

J'y crois fort. On le voit avec l'actualité. Je pense à Vanessa Springora, qui a écrit Le Consentement [dans lequel elle dénonce la pédophilie de l'écrivain Gabriel Matzneff]. Je pense à Camille Kouchner, avec La Familia Grande [dans lequel elle dénonce les agissements de son beau-père Olivier Duhamel]. Je pense aussi à Flavie Flament, avec La Consolation [dans lequel elle dénonce le viol qu'elle a subi de la part de David Hamilton].

Ces femmes dénoncent des choses qu'elles ont subies dans leur enfance, des crimes innommables... Ces femmes, elles ont vraiment morflé, comme on pourrait le dire de façon un peu triviale. Elles ont morflé. Il a fallu des années pour qu'elles puissent restituer les choses. Camille Kouchner c'était pour dénoncer ce prédateur qui avait abusé de son frère. Ce n'est même pas elle qui en a été la victime, mais sa vie a été considérablement impactée. Les femmes qui écrivent sont dangereuses parce qu'elles déboulonnent des monuments.

Ce procès fictif a néanmoins démontré que ce n'est pas grave si une écrivaine est dangereuse. Au contraire.

Non, ce n'est pas grave. C'est nécessaire. On brise des silences, on libère une parole. Trop de femmes sont muselées dans le monde. Il faut parler, il faut se libérer de ces chaines-là.

Et le rôle des écrivaines d'Outre-mer dans tout ça ?

C'est tellement vaste cette notion d'Outre-mer. Ça va de l'océan Pacifique à l'océan Indien, à la Caraïbe, à l'Atlantique... Je suis une femme dans le monde, avec les problèmes qui sont là, dans mon histoire, dans la grande histoire de ces petites îles, de ces petits pays, Guadeloupe, Martinique. Avec des héritages de douleurs, avec des fantômes qui errent dans les paysages... J'écris avec tout cela. La géographie du pays, les vestiges de ce passé, les ruines des moulins, des habitations. J'écris avec ma propre histoire familiale et intime. 

Les femmes d'Outre-mer, elles ont du talent. Je pense à des écrivaines comme les sœurs Kanor. Puis, nous avons Maryse Condé, qui a disparu, qui a laissé une œuvre considérable. Les écrits restent en tout cas.

Maryse Condé était-elle dangereuse ?

Elle était dangereuse parce qu'elle était libre et que sa parole était libre. Elle racontait ce qui ne devait pas être raconté. Quand elle a écrit La Vie sans fards, elle est allée vraiment très loin, en se regardant dans son comportement, dans son rôle de mère. Il n'y avait pas de tabou. Elle a raconté sa vie, ses failles, sa grandeur, ses faiblesses, et elle s'est livrée.