FIFAC : "Les musulmans bien mieux acceptés aux Antilles que dans l’Hexagone" selon Mariette Monpierre

Mariette Monpierre
Tournés vers la Mecque, le documentaire de la Guadeloupéenne Mariette Monpierre propose un regard bienveillant sur le parcours de plusieurs musulmans en Martinique et en Guadeloupe. Ce film est en compétition au FIFAC, le festival de documentaires de Saint-Laurent du Maroni en Guyane.
 
Le FIFAC, le premier festival international du film documentaire Amazonie-Caraïbes en partenariat avec France Télévisions propose un autre regard sur le monde. Ce festival inédit se tient jusqu'au 18 octobre à Saint-Laurent du Maroni en Guyane. Grâce à sa sélection de 13 films en compétition, les sujets les plus divers sont abordés : environnement, histoire du bagne, religion... La réalisatrice Mariette Monpierre a voulu faire un documentaire sur ces Antillais qui ont choisi en Martinique ou en Guadeloupe d’être musulmans. Regardez ci-dessous notre rubrique "Quoi de neuf doc ?": 
 
"Tournés vers la Mecque" n’a pas été simple à réaliser. Les portes ne se sont pas ouvertes facilement. Mais la Guadeloupéenne a réussi à dresser le portrait de plusieurs musulmans avec un regard très bienveillant. La 1ere a rencontré cette réalisatrice, auteure de plusieurs films tels que "Le bonheur d’Elza", "Entre deux rives : de Saint-Domingue à Pointe-à-Pitre". 


La1ère : Alors que la France hexagonale sort traumatisée d’un nouvel attentat perpétré par un musulman radicalisé d’origine martiniquaise, Mickaël Harpon, comment vivez-vous la projection de votre film après un tel événement ?

Mariette Monpierre : Je trouve que le film tombe à point car cela donne l’opportunité d’aller vers l’autre et d’aller voir qui sont ces musulmans antillais convertis. Quel est leur approche, leur vie ? Mon documentaire amène des réponses puisque c’est une exploration intime, des témoignages d’anciens chrétiens convertis à l’Islam. Ils partagent au quotidien leur foi, leur vie, leurs problèmes. Et on s’aperçoit que ce sont des gens comme tout le monde. C’est un documentaire qui est loin des préjugés habituels. C’est inattendu, c’est paisible, c’est serein. Je trouve que les médias font souvent un amalgame entre intégrisme, terrorisme et Islam qui n’est pas du tout vrai, en tout cas pas aux Antilles.  

En région parisienne le contexte n’est -il pas différent de celui que vous montrez aux Antilles ?

En fait, pour moi le contexte -que ce soit celui des musulmans en France hexagonale ou aux Antilles-, ce sont des hommes, ce sont des êtres humains qui vivent leur foi dans le calme. Donc les gens qui perpétuent des attentats, des meurtres ne sont pas des musulmans qui vivent avec leur foi. Ce sont des êtres humains qui ont envie de détruire, de se rebeller mais cela n’a rien à voir avec l’Islam. C’est ce que montre le documentaire. Moi je ne prends pas position, je montre des gens, des femmes, des hommes qui vivent leur foi comme vous.

Et donc le profil de Mickael Harpon ne ressemble en rien aux personnes que vous avez vus ? 

Aucun rapport avec l’Islam, aucun rapport avec les Antillais que j’ai vus en Guadeloupe et en Martinique parce que nous avons tourné dans les deux îles. J’ai rencontré des gens passionnants, attachants, émouvants. Ce sont des gens qui recherchent la compréhension, la paix et qui veulent avoir une vie normale. Les filles qui sont voilées, elles ne supportent pas de voir le regard des gens qui les jugent. L’une des personnes interviewées dit ainsi : "c’est fou ce qu’un bout de chiffon peut provoquer chez l’autre". 

Dans le film, il y a un personnage très important : Sabrina. Comment l’avez-vous rencontrée ? 

Sabrina est une infographiste qui travaille avec acharnement et qui est très talentueuse. Elle est en train d’écrire un livre illustré sur ses expériences de femme musulmane, comment elle est perçue, quelles sont les blagues et les situations cocasses qu’elle vit au quotidien. Elle nous révèle tout ça dans le documentaire. 

Sabrina m’a été présentée par mon co-auteur Christelle Théophile qui était en contact avec la communauté musulmane et tout de suite, il y a eu une connexion, un lien très fort entre nous. J’ai tout de suite compris qu’elle voulait participer, elle était à fond car son but et celui de son association est de favoriser la rencontre entre les musulmans et les non-musulmans. 

Elle a été un élément fondateur du documentaire car c’était très difficile d’obtenir l’adhésion de la communauté en Guadeloupe et en Martinique. Ce sont des gens qui se méfient des médias. Quand ils nous ont vu arriver, ils se sont demandés quel était le but du film, pourquoi voulait-on parler d’eux. Ils ne sont pas habitués à ce que l’on parle d’eux autrement que par des faits sensationnels. 

Il y a une scène très émouvante dans le documentaire. Fabiola qui est coiffeuse à domicile vient s’occuper d’une vieille dame. Comment avez-vous pu entrer en contact avec Fabiola ?  

Nous avons eu beaucoup de difficultés à trouver des personnes qui voulaient participer au film et nous étions sur le point -ma productrice Christine Belenus et moi- d’arrêter car tout le monde disparaissait au fur et à mesure. J’ai dit à Christine : "non ce n’est pas possible, il faut absolument qu’on fasse ce documentaire". J’étais à New-York à l’époque. J’ai insisté auprès d’elle en la rassurant : "ne t’inquiète pas, je vais trouver des personnages". J’ai téléphoné à la Martinique à la terre entière et je suis tombée sur Khaled qui fait partie de l’école de la patience. 

Il m’a dit : "je connais une femme, je vous donne son numéro de téléphone, elle s’appelle Fabiola". Il y a eu un moment magique avec Fabiola. On est restés 2h au téléphone. Elle s’est ouverte à nous, elle nous a raconté ses difficultés, comment elle s’est convertie à l’Islam. Ses difficultés sont doubles car elle est Haïtienne, elle subit déjà un certain racisme des Martiniquais car elle a un accent et en plus elle est voilée. 

Quand elle arrive chez des gens et qu’elle ne s’est pas annoncée comme femme voilée, il est arrivé qu’on lui ferme la porte au nez. C’est un personnage qui a beaucoup de détermination. Dans le film, on la voit coiffer cette dame âgée atteinte de la maladie de Parkinson qui dit : "ça ne me dérange pas que Fabiola soit musulmane". 

Mais n’y-a-t ’il pas des dérives de l’Islam actuel ? Un rigorisme excessif ? 

Non je ne crois pas. Il y a des personnages qui parlent comme Fabiola de leur conversion et de leur difficulté à rester en harmonie avec leur famille qui ne comprend pas leur démarche. Donc souvent les musulmans qui se convertissent sont coupés de leur famille et ils doivent travailler sur cette relation pour essayer de réintégrer leur famille.

L’Imam de la Guadeloupe dit aussi que beaucoup de musulmans convertis se cachent. Ils ont peur de perdre leur travail. Donc on ne sait pas qui est musulman et qui ne l’est pas, surtout chez les hommes. Certains portent la barbe. Beaucoup ne la portent pas.

Donc ils vivent entre eux car ils se sentent mieux ainsi. C’est une communauté qui a un peu peur de s’ouvrir et c’est pour cela que cela a pris beaucoup de temps de créer du lien avec eux. Je n’ai pas pu raconter l’histoire comme je le voulais car on ne pouvait pas aller filmer chez eux. Il a fallu tourner par exemple sur la terrasse, je ne pouvais pas montrer les enfants. 

Qu’aviez-vous envie de dire avec ce film ? 

C’est très simple, je voulais juste faire découvrir cette communauté de musulmans aux Antilles. Ces gens ce sont des êtres humains comme tout le monde qui sont bien plus acceptés aux Antilles qu’en France hexagonale. Ils vivent leur foi dans le calme et la sérénité.