Français enlevés au Niger en 2010 : Areva mis en examen pour "blessures involontaires"

Le Martiniquais Thierry Dol est accueilli par ses proches à sa descente d'avion, le mercredi 30 octobre à l'aéroport militaire de Villacoublay
Le géant du nucléaire Areva a une part de responsabilité dans l'enlèvement en 2010 de cinq Français, dont le Martiniquais Thierry Dol, par Al-Qaïda près de la mine d'uranium d'Arlit au Niger, estime un juge d'instruction antiterroriste qui l'a mis en examen lundi pour "blessures involontaires" par manque de sécurité.

Le magistrat reproche à Areva, devenue Orano, d'avoir sous-évalué le risque d'attaques de l'organisation Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) contre le site minier et de ne pas avoir instauré des mesures de sécurité adaptées pour l'ensemble des salariés, selon une source proche du dossier. Le juge chargé de cette information judiciaire, ouverte depuis 2013 au pôle antiterroriste, estime également qu'Areva a ignoré les avertissements concernant les défaillances du système de protection et la menace terroriste. Areva ne souhaite pas commenter sa mise en examen, a indiqué à l'AFP l'avocate du groupe Me Marion Lambert-Barret.

Manque de protection du site

Dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010, cinq Français - Françoise et Daniel Larribe, Pierre Legrand, Marc Feret et Thierry Dol, originaire de Martinique -, un Malgache, Jean-Claude Rakotoarilalao, et un Togolais, Alex Awando, avaient été enlevés à Arlit par des hommes armés. Après cinq mois de captivité, le 25 février 2011, Françoise Larribe, malade, avait été libérée avec les salariés malgache et togolais. Les quatre derniers otages avaient été délivrés le 29 octobre 2013, après 1 139 jours de détention dans le désert sahélien.

Lors de son interrogatoire, le groupe, représenté par sa directrice juridique, a réfuté tout manquement dans la gestion du risque, assurant que la protection des salariés était une priorité, a précisé la source proche. A Arlit, l'un des sites d'extraction d'uranium au Niger, Areva devait assurer la sécurité des expatriés travaillant pour le groupe, ses filiales et sous-traitants, mais chaque entité avait également des obligations de sécurité envers son personnel, s'est défendue la directrice juridique. Le groupe avait signé un contrat avec Niamey prévoyant la mise à disposition des forces de sécurité nigériennes pour protéger installations minières, logements et déplacements des expatriés.

Menace terroriste minimisée

Les investigations ont révélé le manque de protection du site, où vivait environ une centaine de personnes. Le couple Larribe a été kidnappé dans sa villa, située dans un ensemble d'habitations non clôturé. Ces lieux de vie étaient surveillés par des touaregs, employés de sociétés privées, sans armes. Aucun système d'alerte, ni base de repli n'était prévu en cas d'intrusion.

Dès 2008, l'attaché de défense de l'ambassade de France avait pourtant alerté sur la sécurité défaillante du site d'Arlit. Des audits réalisés après le rapt ont pointé des manquements. Pour la sécurité, Areva s'appuyait sur le commissariat et la gendarmerie d'Arlit, ainsi qu'un bataillon de 250 soldats de l'armée nigérienne stationné à cinq kilomètres. Lors des kidnappings, policiers et gendarmes ne sont pas intervenus. Les forces de sécurité sont arrivées une heure et demi après. Les investigations ont révélé le manque de formation et d'équipement de ces hommes.

Rançon

Pour Areva, le dispositif de sécurisation élaboré était solide, mais sa mise en œuvre a été défaillante, a justifié la directrice juridique. Aux négligences de sécurité s'ajoute une sous-évaluation du risque que représentait Aqmi au Niger, selon les juges d'instruction. Depuis 2009, les enlèvements d'occidentaux et les menaces d'Aqmi contre les intérêts français s'étaient multipliés. Areva n'a pas tenu compte des avertissements, estime les juges d'instruction. "Malgré les nombreux avertissements portés à la connaissance d'Areva, rien n'a été sérieusement mis en oeuvre", a déploré Me Olivier Morice, avocat de Pierre Legrand et sa famille.

Lors de son interrogatoire, Areva a confirmé avoir versé avec Vinci, l'un des sous-traitants, une rançon. Selon la source proche, il s'agit de 12,5 millions d'euros pour la libération des trois premiers otages, puis 30 millions d'euros pour les quatre derniers hommes. "Cette somme a permis aux terroristes d'acheter des armes pour attaquer nos militaires et poursuivre des actions particulièrement lâches", a dénoncé Me Morice. "On est bien loin de la doctrine officielle de la France prétendant qu'aucune rançon n'est jamais versée." "La France ne verse pas de rançon", avait répété à l'époque l'entourage du président François Hollande pour contrer les rumeurs. Areva avait également démenti tout versement d'argent.