"Frivolités" : quand Christiane Taubira se met au théâtre

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Il ne manquait plus que le théâtre au registre littéraire de l’ancienne ministre de la Justice. C’est désormais chose faite avec "Frivolités", une pièce qui donne la parole à treize femmes issues des cinq continents, pour dénoncer les injustices et les errements de notre monde. Bonnes feuilles.

Son récent échec politique aux élections de 2022 n’a pas entamé sa fougue créatrice. Après Ces morceaux de vie… comme carreaux cassés, son premier recueil de nouvelles, Christiane Taubira revient sur la scène littéraire avec sa première pièce de théâtre. Dans une écriture flamboyante comme elle en a l'habitude, l’autrice fait intervenir treize femmes comme caractères principaux, venues des cinq continents, chaque femme portant une tenue permettant de l’identifier plus facilement. Il n’y a pas plus que quatre ou six femmes sur scène dans les divers actes.

Dans un tournoiement d’idées et de vives réparties, ces femmes abordent les problèmes de notre monde, avec empathie et un fort désir de justice, sans être toutefois toujours d’accord. Ainsi l’ouvrage prend-il la forme d’un débat où se confrontent des thématiques sociétales et politiques anciennes comme actuelles. "Sayna : En effet il ne suffira pas de virer les hommes, il faut monter les bas salaires, plafonner les dividendes, interdire la chasse à courre, contrôler les pesticides, alléger les abattoirs, réduire le temps de travail et plus sérieux encore, augmenter les minima sociaux, baisser les loyers et les charges, prolonger les indemnités chômages… Inaya : Non ma chérie, ça non plus ce n’est pas de la radicalité, c’est de la pacotille !"

Christiane Taubira utilise également plusieurs styles d’écriture, qui vont du registre théâtral classique à la poésie, en passant par de longs monologues. Dans sa construction, la pièce est par ailleurs ponctuée par de la musique, un quatuor, une chanteuse et des choristes devant être installés en permanence près de la scène et visibles par le public - et parfois de danse (tango, hip-hop). L'ex-garde des Sceaux en profite pour dévoiler une playlist éclectique, où l’on retrouve pêle-mêle Nina Simone, Anne Sylvestre, Barbara Hendricks, la rappeuse martiniquaise Casey, Edith Piaf, James Brown, Aretha Franklin, le pianiste américain Chick Corea et Claude Nougaro, entre autres.

Extraits

"Qu’ont-elles fait, les anciennes métropoles coloniales ? Elles ont fini par céder face aux indépendances. Puis elles ont fait des trémolos sur le développement, elles ont prêtés aux nouveaux Etats de l’argent, tout l’argent qu’elles avaient de côté, sans usage, à des taux d’intérêt qu’elles ont fixé elles-mêmes, à rembourser selon un échéancier qu’elles ont aussi fixé toutes seules. Et ces pays n’en finissent pas de rembourser. Trois générations déjà qui remboursent. Elles ont rendu trois fois l’argent prêté, mais apparemment, elles n’ont remboursé que les intérêts, pas encore le capital. Plus tu paies plus il reste à payer. Ce n’est pas de la finance, c’est de la magie."

(...) "C'est une jeune Iranienne de vingt-neuf ans. Elle a voulu assister à un match, déguisée en garçon. Les crétins qui font la sécurité à l'entrée l'ont repérée. Ils l'ont arrêtée. Elle a été emprisonnée trois jours. Quelques mois plus tard, à l'occasion de son procès, on lui a dit qu'elle risquait entre six mois et deux ans de prison. Elle a préféré s'immoler devant le tribunal. Je ne vois pas qui peut, désormais, s'autoriser à dire que sa revendication était une cause mineure. Ou dérisoire."

(...) "Dis-moi, c'est juste, de rire dans un monde qui radie les chômeurs, flique les érémistes, largue les femmes à leurs maris sauvages, néglige les vieux, renvoie les enfants de la cantine, regarde des gens se noyer à deux miles de jolies plages de sable fin ?... C'est juste que la société soit un boxon à ciel ouvert où des hommes forniquent à tour de bras, niquent la planète et les utérus, donnent des leçons à tout va, pendant que les pauvres remboursent la dette ?"