Grands frères ou gangster : qui sont les suspects des violences de novembre en Guadeloupe

Violences urbaines
D'un côté, ils sont soupçonnés d'appartenir aux gangs qui auraient planifié et organisé les violences de novembre en Guadeloupe. De l'autre, ils sont présentés comme des "grands frères", médiateurs auprès d'une jeunesse désœuvrée. Retour sur ces hommes mis en examen et écroués depuis fin janvier.

Certaines des violences qui ont émaillé les manifestations populaires contre le pass vaccinal ont été "parfaitement planifiées et organisées", estime le procureur de la République à Pointe-à-Pitre, Patrick Desjardins. Parmi les suspects : un policier, mais aussi 7 autres hommes mis en examen notamment pour association de malfaiteurs et sept d'entre eux, ont été écroués, dans cette enquête, pour laquelle la JIRS de Fort-de-France a été saisie lundi. 


"Ce sont des Grands Frères", assure Lucette Safar, mère de l'un des mis en examen, surnommé Oneel, membre du groupe "de musique" Section Kriminel, en détention provisoire depuis le 21 janvier. "Tous les jours, ils tiennent la jeunesse, ils évitent que
ça s'entretue"
, raconte-t-elle. Un autre, Bwana, travaille comme médiateur à la Ville de Baie-Mahault. Il est membre du Conseil local de prévention de la délinquance, et très actif dans des associations d'aides aux plus démunis. Quelques jours avant son arrestation, il participait à une action "relooking de rue" avec des SDF de Baie-Mahault. Les autres suspects travaillent aussi dans des associations d'insertion, et mènent des actions de prévention de la violence dans des écoles. 
"Le procureur, il parle, mais s'il savait le nombre de crimes que ceux-là [les Grands Frères] ont évité...", "la justice essaie de les diaboliser", martèle Lucette Safar. Et si certains des prévenus ont des casiers fournis, pour d'autres c'est leur premier contact avec la justice.


Bandana 


Mais Bwana est aussi qualifié de "leader des Chien Lari" par les autorités judiciaires, un qualificatif qu'il a réfuté lors de sa garde à vue. Les Chien Lari, un gang originaire de Baie-Mahault, dont la rivalité avec celui de Pointe-à-Pitre, Section Kriminel, était de notoriété publique. En 2020, alors que cette rivalité était à l'origine de nombreux règlements de comptes, les deux bandes rivales ont décidé de signer une trêve, sous la caméra d'un animateur vedette de la chaîne locale Canal 10.

"Notre seul bandana, [un signe de reconnaissance, NDLR] c'est le drapeau de la Guadeloupe", disait alors Bwana. Selon Mme Safar, la genèse de ces mouvements, c'est la musique. "Ils font du rap, un style musical qui dénonce des faits de société". Dans leurs morceaux, aux basses lourdes, on slame la loi de la rue, mais aussi, on s'affronte à coup de clips peuplés de bad boys armés, portant de gros colliers en or, et parfois cagoulés. Mais par le passé, les affrontements ont aussi eu lieu dans la rue. "On compte une vingtaine de morts à chaque chapitre", chante Oneel dans un morceau, diffusé pourtant il y a près de 10 ans. Parmi les 7 détenus, plusieurs ont collaboré ensemble à des productions musicales.

Durant l'enquête, "dans les surveillances qui ont été mises en place", suite aux premières émeutes de novembre, "nous avons compris qu'il était question d'un partage des rôles", notamment entre des gangs de Baie-Mahault, de Pointe-à-Pitre et deGrand-Camp (aux Abymes, NDLR), selon le procureur Patrick Desjardins.


Beaucoup d'argent


Pour Vincent Lamballe, commandant de Gendarmerie sur le territoire, les "gangs" sont une "notion, un peu floue". "On est sur un phénomène de bande, qui exerce une influence territoriale, un peu sur le modèle des bandes de l'Hexagone, ou des groupes d'Amérique du Sud". Les mis en cause sont soupçonnés d'avoir fomenté des exactions, en novembre, en vue notamment d'extorquer des fonds à des grands groupes, mais également à des élus via des subventions versées à des associations. Dans des écoutes téléphoniques mises en place pour l'enquête, "on y parle beaucoup d'argent", a indiqué la procureure générale, lors de l'audience de la Chambre de l'instruction de Basse-Terre qui examinait début février les demandes de libération des mis en examen placés en détention provisoire depuis le 21 janvier. Selon elle, il était question de sommes allant de 3 à 9 millions d'euros. 
La Chambre avait alors confirmé la détention provisoire des 7 mis en examen.