Guerre en Ukraine : les militaires ultramarins engagés au sein des forces de l'OTAN

Plusieurs dizaines de soldats, originaires des départements et territoires d’Outre-mer, sont actuellement déployés en Roumanie, à 25 kilomètres de la frontière avec l’Ukraine.
Cela fait un an déjà que Vladimir Poutine a lancé "l’opération militaire spéciale" qui s’est traduite par l’invasion de l’Ukraine. En réaction, l’OTAN a notamment déclenché la mission Aigle. Dans ce cadre, plusieurs dizaines de soldats originaires des Outre-mer sont déployés en Roumanie, à 25 km de la frontière avec l’Ukraine. Et ils doivent relever un triple défi : géographique, climatique et émotionnel.

Dans un coin retiré du camp Mihail Kogalniceanu, trois groupes de combat du génie se préparent à une manœuvre de tir interarmes à dominante infanterie.

"C’est la première fois qu’on va simuler une capacité de déploiement face à l’Est de l’Europe dans un cadre otanien. Et c’est une belle démonstration de nos capacités au travers des moyens qu’on peut mettre en œuvre et de l’utilisation qui peut en être faite, notamment des tirs", explique le général Christophe Follet, le représentant principal national des forces françaises en Roumanie. La section, commandée par le lieutenant François, compte dans ses rangs plusieurs militaires ultramarins. 

Une tête surgit de la trappe de l’un des trois véhicules de l’avant blindés, engagés par l’unité sur la manœuvre. Comme pour montrer son amour de la patrie, le soldat de première classe Toussaint, radio-tireur, s’est grimé en rouge, une des trois couleurs du drapeau français, comme le montre la photo ci-dessous. Mais ce camouflage, propre aux sapeurs de combat, peine à dissimuler les traits juvéniles de ce soldat, qui vérifie, avant le départ, l’état de la mitrailleuse de calibre 7.62 mm en circulaire sur le toit.

Le soldat de première classe Toussaint, 19 ans, est guyanais.

La peur n’est pas une option

Le soldat de première classe Toussaint a 19 ans. Ce jeune Guyanais n’est pas le premier de sa famille à servir dans l’armée. "Mon frère aîné était militaire", dit-il. Et d’ajouter, d’une voix quelque peu émue : "Il est décédé dans un accident en Guyane, à l’issue d’une soirée organisée pour fêter, avec ses amis, son retour de mission à l’étranger." Cet événement dramatique continue de le hanter ; mais il ne l’a empêché pas de s’engager, il y a un an et demi, dans l’armée de terre.

La mission Aigle est sa première opération extérieure. Elle se déroule en Roumanie, voisine de l’Ukraine, le théâtre depuis un an d’un conflit de haute intensité. L’annonce de la livraison de chars lourds à l’Ukraine fait craindre une escalade de la guerre.

Dans ce contexte volatil, incertain, complexe et ambigu, même si l’image de son grand-frère obsède ses rêves, le soldat de première classe Toussaint affiche une certaine assurance. "Je n’ai pas peur", répond-il à la question de savoir si la proximité géographique du camp d’entraînement avec l’Ukraine l’angoisse. Et de poursuivre : "C’est le travail ; il y a des dangers, il y a des risques dans le métier ; on fait avec."  Un témoignage à retrouver dans le reportage ci-dessous :

©la1ere

Toutefois, il comprend aisément l’inquiétude de ses parents en Guyane. "Mes proches savent que je ne suis pas loin de l’Ukraine", souligne-t-il. Et le jeune soldat doit constamment les rassurer. "J’essaie de les appeler le plus souvent possible ; deux à trois fois par semaine", confie-t-il. Cette volonté de garder le contact avec sa famille requiert, de sa part, une importante débauche d’énergie et une certaine abnégation, en raison du décalage horaire entre la Roumanie et la Guyane. 

De l’énergie positive en provenance des Outre-mer

Rassurer, rassurer encore, rassurer toujours les membres de leurs familles qui, pour la plupart, vivent dans les départements et territoires d’Outre-mer, à des milliers de kilomètres de la Roumanie, cela semble être le leitmotiv des militaires ultramarins engagés sur la mission Aigle.

"Maintenant, avec les nouvelles technologies de l’information, on peut communiquer, donner des nouvelles ; et le fait de nous avoir en visio rassure encore plus nos proches", insiste le brigadier-chef Julien, 30 ans, originaire de La Réunion. "On a de la chance d’être sur le sol européen, on a facilement accès à Internet, et on peut donc communiquer régulièrement avec eux", renchérit le sergent Ahamada, 26 ans, né à Mayotte.

La communication permanente avec leurs familles ne permet pas seulement aux militaires ultramarins de raconter leur quotidien sur le théâtre roumain ; elle est aussi l’occasion de réduire virtuellement la distance géographique entre eux. Pour ces soldats, c’est surtout, comme par magie, le moyen de recevoir de l’énergie positive des Outre-mer. "Dès que je parle au téléphone à mes parents, ils rechargent mes batteries à bloc ; et, dès que je vois ma femme et mes deux enfants, je suis refait", confie le caporal-chef Gérald, 31 ans, natif de Martinique.

Les échanges téléphoniques leur permettent enfin de prendre quelques conseils d’ordre spirituel. "Mes proches me disent : Fais attention à toi ! Et surtout prie beaucoup ; et c’est ce que je fais", souligne le caporal-chef Patrick, 31 ans, originaire de Wallis.

Le sergent Ahamada, 26 ans, né à Mayotte ; le caporal-chef Gérald, 31 ans, natif de Martinique ; et l'adjudant Claude.

Des soldats parfaitement intégrés au sein des unités

Aux yeux des militaires ultramarins, le théâtre roumain a une autre particularité : le climat. Étant donné qu’ils sont, pour la plupart, natifs des régions aux températures relativement chaudes, la météo en Roumanie n’est pas leur allié naturel. Le ressenti est de - 8°C en moyenne.

Le sergent-chef Toarii a 33 ans. Ce sous-officier d’origine tahitienne est l’adjoint du chef de la deuxième section d’infanterie. Il en est à sa septième opération extérieure. Les six premières se sont déroulées dans des pays chauds. La Roumanie est sa première mission en terre européenne. "Il fait très froid ici", constate-t-il. Et d’ajouter : "On s’adapte.

Leur capacité d’adaptation est un atout important. Elle facilite l’intégration des soldats ultramarins au sein de leurs unités. "Ils sont motivés ; ils sont bons techniquement et tactiquement ; je sais que je peux compter sur eux, je peux les emmener que ce soit dans le désert d’Afrique ou dans les milieux plus froids ; ça se passe bien avec eux ici", assure le lieutenant François, chef de la section de combat du génie.

Un avis partagé par le lieutenant-colonel Vincent, chef des opérations du bataillon multinational placé sous le commandement français en Roumanie. "Ce sont des gens avec qui j’ai énormément de plaisir à travailler", conclut l’officier supérieur.