Guyane : démolition d'un squat en forêt classée [Planète Outre-mer]

Une maison illégale construite en bordure de la réserve du Mont Grand Matoury
La préfecture a lancé jeudi 3 octobre la première phase de destruction d'un squat situé sur le Mont Fortuné. En un an, douze hectares de forêt classée ont été déboisés et brûlés pour laisser place à une quarantaine de maisons illégales. Des installations qui ont détruit un corridor écologique.
 
En bordure de l'île de Cayenne, entre le Mont Fortuné et la réserve du Mont Grand Matoury, deux cents personnes ont élu domicile sur un espace boisé et classé où aucune construction n'est autorisée. Un espace que les agents de la réserve et de l'ONF Guyane avaient identifié comme un corridor pouvant permettre à la faune du Mont Fortuné -de plus en plus cerné par les habitations- de pouvoir se réfugier dans la réserve du Mont Grand Matoury située à quelques dizaine de mètres.

 

Aujourd’hui, c’est fini, ce déboisement a détruit ce corridor. D’autre part, à la prochaine saison des pluies, le lessivage des sols va s’écouler dans une des criques de la réserve, ce qui va créer des charges importantes en matière en suspension. La qualité de l’eau sera altérée. Autre conséquence, toutes les maisons construites en aval de cette colline sont désormais en danger. Avec la pluie, ce déboisement peut provoquer un glissement de terrain.

- Gérald Gondrée, responsable police à l'Office National des Forêts de Guyane

Une quarantaine de familles se sont installées entre la réserve du Mont Grand Matoury et du mont Fortuné


Le Mont Grand Matoury, la réserve péri-urbaine la plus grande de France

Ces installations illégales se sont rapprochées à moins de cent mètres des limites de la réserve du Mont Grand Matoury. Une réserve de 2000 hectares. A l'échelle de la Guyane, c'est une petite aire protégée, mais c'est la plus grande réserve péri-urbaine de France. Elle est située près de l'aéroport et de divers quartiers de l'île de Cayenne. C'est l'une des plus fréquentées de Guyane. En moyenne,12000 visiteurs par an profitent de cette réserve.

Cet espace protégé a une réglementation stricte pour préserver sa flore et sa faune. Des tatous, des fourmiliers, des singes et même des jaguars ainsi que des insectes, des araignées comme la fameuses théraphosa de Guyane, la plus grande mygale au monde, des grenouilles comme les dendrobates dont le morphe (les dessins sur le corps) est endémique.  

Ces installations illégales ne concernent pas directement la réserve puisque les gens sont à l'extérieur mais les défrichements accompagnés d'incendies progressent et sont maintenant vraiment en limites. Ils ont déjà impacté la zone tampon qui sert de sas entre l'urbanisation et la réserve. Nous avons également observé de plus en plus de gens qui vont chasser dans la réserve. 

Thibaut Foch, conservateur de la réserve Naturelle du Mont Grand Matoury

Incendie sur le mont Fortuné


Des incendies de forêt primaire non maîtrisés en saison sèche

L'installation d'habitations illégales à la limite du Mont Grand Matoury a très vite inquiété toute l'équipe en charge de la gestion de la réserve.  D'autant que pour déforester, les squateurs ont provoqué de nombreux incendies. Des feux qui peuvent se répandre à la forêt primaire surtout en période de saison sèche, comme ce fut le cas en octobre 2018. Un incendie au sommet du Mont Fortuné s'est propagé à la forêt jusqu'à la canopée. Des flammes très impressionnantes qui ont terrorisé les riverains comme les agents de la réserve. 

Tout le monde a craint que le feu se propage, d'autant que la Guyane n'est pas équipée pour éteindre ces feux de forêt primaire. Jusqu'à présent les incendies ne se font que dans les savanes mais qu'en sera t-il avec le dérèglement climatique ? Les deux dernières saisons des pluies ont été très sèches et les saisons sèches ont été particulièrement pauvres en pluviométrie. 

Thibaut Foch, conservateur de la réserve Naturelle du Mont Grand Matoury


Des incendies qui menacent par ailleurs un vestige amérindien, "une montagne couronnée" située au sommet du Mont Fortuné. Cette année encore, les riverains ont observé des incendies sur le Mont Fortuné. Des incendies qui servent également à fertiliser les sols. Les cendres répandues nourrissent la terre avant de la cultiver. Ces pratiques traditionnelles se retrouvent également à Mayotte ou en Nouvelle-Calédonie.

Des habitations insalubres


Un squat où se concentre toute la misère humaine

Situé en périphérie de l’île de Cayenne, cet espace entre le Mont Fortuné et la réserve du Mont Grand Matoury est particulièrement intéressant pour des habitants illégaux. Le bois permet de faire des abatis pour leurs cultures et la proximité avec la ville assure écoles pour les enfants et axes routiers pour se déplacer. Une première phase de démolition de squats situés sur le Mont Fortuné a démarré ce jeudi 3 octobre.

Après une concertation avec la population, la préfecture a démoli les clôtures et une quinzaine de maisons, celles dont les habitants ont donné leur accord. D’ici deux à trois semaines, le reste des maisons de cette première zone seront détruites. Une démolition qui s'est faite dans le cadre de l'article 197-1 de la loi Elan qui ne s'applique qu'en Guyane et à Mayotte. Une loi qui permet une procédure accélérée pour déloger les occupants sans-titre et détruire les habitations illégales. Les défenseurs du droit au logement dénoncent "une loi anti-pauvres" alors que la plupart de ces personnes sont avant tout victimes des marchands de sommeil. Il semble en effet probable que ces personnes aient été aidées pour s'installer sur cette zone située entre le Mont Fortuné et la réserve du Mont Grand Matoury.
Des habitants illégaux victimes de marchands de sommeil
 

On comprend aussi la misère des gens qui viennent s’installer ici mais le problème c’est que rien n’est prévu pour les accueillir. La Guyane toute seule ne pourra jamais faire face à ce flux migratoire si des mesures ne sont pas prises à nos frontières. Aujourd’hui, toutes les communes de Guyane connaissent ces habitations spontanées qui s’installent à leur périphérie. 

- Gérald Gondrée, responsable police à l'Office National des Forêts de Guyane

Deux cents personnes vivent dans ce squat, pour l'essentiel des familles aux enfants scolarisés

En repartant, nous avons croisé sac aux dos de nombreux enfants de retour de l'école. Très polis, ils nous ont salué avant de rentrer chez eux, sans savoir que dans la matinée, leur maison avait été pour certaines détruites.

Si certaines de ces familles ont bénéficié d'une structure d'accueil temporaire, il est probable que la plupart iront s'installer un peu plus loin où ils déforesteront encore pour construire de nouvelles maisons illégales.