Guyane : les chants des batailles des pikolèt

Concours de chant de Pikolèt en Guyane, le 28 novembre 2020
Patrice Saint-Prix et son Pikolèt Gustave ont remporté la Coupe de Guyane de pikolèt le week-end dernier. Retour sur ce tournoi de passionés d'oiseaux chanteurs.
L'attroupement paraît inhabituel dans la cour de l'école Henri-Agarande, à Cayenne. C'est dimanche, aucun élève à l'horizon. Ceux qui ont pris possession des lieux sont des fous de pikolèt, des passereaux de quelques grammes aux ritournelles mélodieuses, qu'ils font concourir dans des tournois de chant.

Coupe de Guyane de Pikolèt

L'inscription coûte dix euros, certains propriétaires ont fait trois heures de route pour présenter leurs volatiles et la plupart apporte plusieurs challengers. "Nous avons 59 participants, c'est beaucoup", assure Marius Asselos, président de Guyane Association Ornithologie, organisatrice du tournoi. C'est un rendez-vous immanquable : la coupe de Guyane de pikolèt, catégorie "cages collées".

"Chaque passage oppose deux oiseaux pendant six minutes (les cages posées l'une à côté de l'autre, ndlr), celui qui produit le plus de chants pendant ce laps de temps remporte la manche", explique Marius Asselot. Pour valider un chant, il faut que l'oiseau chante trois notes différentes et que la coupure soit franche. Chaque manche mobilise deux juges chargés d'écouter les chants et de les reporter sur un compteur numérique.

Tout ce que la Guyane compte d'éleveurs, de propriétaires, de passionnés de pikolèt a fait le déplacement. Mais certains oiseaux restent dans les voitures. "Ce sont les femelles", explique Jean-Eddy Tarcy, éleveur renommé. "On les amène pour stimuler les mâles", les seuls à s'affronter à coups de notes. La séparation brutale avec la femelle les dynamise et le face-à-face avec un concurrent entraînent cette joute musicale, chacun essayant d'impressionner l'autre. Les femelles ne chantent pas ? "Non, elles gazouillent", répond M. Tarcy.

"Christophe éliminé. A qui le tour ?", crie le juge. Le même rituel reprend des dizaines de fois. Les propriétaires accrochent les cages puis se placent dans les coins opposés, comme des entraîneurs autour d'un ring de boxe, attendant de voir quel pikolèt enverra le premier uppercut sifflé. Certains, tels des chevaux de courses, atteignent des prix élevés si les éleveurs consentent à les vendre.
 

Plusieurs milliers d'euros 

Difficile d'aborder la question du prix. Tout comme l'entraînement, dispensé par chaque propriétaire, cela relève du secret industriel. "Ça peut monter jusqu'à plusieurs milliers d'euros", souffle un candidat. "Un pikolèt qui ne sait rien faire coûte déjà 500 euros, ajoute un autre, et encore, ce n'est rien par rapport au Brésil ou au Suriname". Chez nos voisins, le chant de pikolèt est élevé au rang de sport national, pratiqué par des "hommes d'affaires qui viennent en jet, ils sont bien plus fous que nous". Un dernier esquive : "l'important, c'est la valeur sentimentale".

En Guyane, la passion du pikolèt s'invite dans la rue. Il n'est pas rare de voir des hommes se promener, à pied, en vélo ou scooter, une cage à la main, pour se rendre dans d'autres élevages ou à une compétition informelle ou pour que leurs champions s'enrichissent du chant des oiseaux sauvages, en lisière de forêt.

Créateur de Guyane Association Ornithologie, dont il est président d'honneur, Christian Thuriaf ne concourt pas mais élève toujours quelques pikolèt. D'une oreille experte, il écoute chanter les oiseaux concurrents. "Le chant le plus répandu, c'est le praia, qui vient du Brésil", explique-t-il. Les éleveurs de chaque pays ont des chants qu'ils inculquent aux oiseaux, comme des marques de fabrique.
 

En métropole, l'ami de l'homme, c'est le chien, ici, c'est le pikolèt.
-Christian Thuriaf, Créateur de Guyane Association Ornithologie


Les jeunes apprennent ces chants dans les élevages et le diffusent au gré des ventes. Le Brésil, gros pourvoyeur, a imposé le sien de Sao Paulo jusqu'au Maroni. Au Suriname, les oiseaux pratiquent un autre chant. Christian Thuriaf s'est donné pour mission de remettre au goût du jour le chant typiquement guyanais qui a presque disparu. Ces chants sont enregistrés sur des CD qu'il tente de diffuser.

Après huit heures de concours, Gustave et son propriétaire Patrice Saint-Prix sortent vainqueurs. Un trophée en bois et un bon d'achat dans une boucherie font office de récompenses. Bien peu par rapport aux prix de certains oiseaux, mais Edouard Magloire, le second, résume : "le but, c'est de se retrouver le dimanche entre amis et de passer un bon moment".