"L'orpaillage illégal empoisonne la Guyane depuis au moins trente ans. Notre ras-le-bol conduit au dépôt de ce recours par lequel nous demandons l'indemnisation des victimes", a dénoncé devant la presse Michel Aloïké, le chef du village amérindien de Taluen (sud), une région particulièrement impactée par l'orpaillage illégal.
Six associations, Wild Legal, la Coopération des organisations des peuples autochtones (CEPA) de Guyane, Guyane solidarité, l'Association des victimes du mercure du Haut Maroni, Maiouri nature Guyane et la Jeunesse autochtone de Guyane portent ce recours.
Elles espèrent obtenir la reconnaissance des préjudices environnementaux et sanitaires de l'orpaillage illégal et l'indemnisation de ses victimes.
"Notre action en justice va plus loin que la reconnaissance d'un préjudice écologique car elle demande que les droits fondamentaux humains soient reconnus comme liés à la bonne santé du milieu de vie", précise à l'AFP Marine Calmet, présidente de Wild Legal.
"L'Etat a une obligation de vigilance environnementale, de respect de ses engagements internationaux sur l'éradication du mercure mais aussi de protection de la santé publique. Et aujourd'hui, les moyens ne sont pas à la hauteur", poursuit-elle.
Principalement originaires du Suriname et du Brésil voisins, les chercheurs d'or clandestins seraient entre 6.000 et 8.000, répartis sur 300 chantiers illégaux et 100 sites primaires, selon la préfecture de Guyane, qui estime que près de 10 tonnes d'or sont extraites illégalement chaque année contre une tonne pour la filière légale.
Pour extirper le minerai, les orpailleurs rasent des centaines d'hectares de forêt par an et utilisent des lances à eau à haute pression qui ravagent les sols et génèrent des quantités importantes de boue polluantes - 7.000 tonnes par jour d'après Wild Legal.
L'utilisation massive du mercure, interdit en France depuis 2006, empoisonne en outre sols, rivières et humains, via la chaîne alimentaire. Treize tonnes de ce métal lourd responsable de troubles neurologiques seraient rejetées chaque année dans le milieu naturel.
1.000 patrouilles par an
"Nos enfants naissent avec des malformations, ou muets. Le peuple Wayana est en train de mourir", s'est indignée auprès de l'AFP Linia Opoya, une habitante de Taluen contaminée par le mercure et requérante dans la procédure judiciaire.
La préfecture de Guyane, elle, estime déployer des moyens considérables pour lutter contre l'orpaillage illégal et se dit "pleinement engagée dans la lutte depuis le début des années 2000".
En 2022, les autorités ont mené plus de 1.000 patrouilles et saisi 59 kg de mercure et 5 kg d'or, selon la préfecture.
Au quotidien, 300 gendarmes et militaires sont mobilisés en forêt dans le cadre de l'opération Harpie, lancée en 2008 et qui a permis, selon la préfecture, de "contenir le phénomène et d'en interdire le développement industriel constaté dans les pays limitrophes".
Les autorités misent sur la destruction des moyens de production des orpailleurs mais le prix du gramme d'or, passé de 30 euros en 2019 à 60 euros aujourd'hui, et la facilité avec laquelle ils se réapprovisionnent en matériel auprès de comptoirs de la rive surinamaise du fleuve frontalier Maroni rendent les chantiers rentables malgré la pression de l'armée.
Selon Pascal Vardon, directeur du Parc amazonien de Guyane (PAG), le facteur-clef de la lutte est "le réapprovisionnement des sites illégaux, les bases logistiques".
"On ne peut pas avancer sans coopération avec le Suriname où il n'y a pas de loi claire sur l'orpaillage et l'utilisation du mercure. Là-bas, l'orpaillage est débridé", a-t-il expliqué à l'AFP.
La dernier survol des chantiers illégaux mené en août par le PAG a répertorié 143 sites d'orpaillage dont 95% dans l'Ouest de la Guyane, plus proche du Suriname.