Les gangs criminels, qui exercent leur contrôle sur une grande partie de la capitale Port-au-Prince et les routes principales du pays, ont récemment ciblé des infrastructures stratégiques comme l'aéroport international, les prisons ou des bâtiments de police. Des troupes armées ont notamment attaqué deux prisons du pays samedi dernier (2 mars), libérant plusieurs milliers de détenus.
Au moins une dizaine de personnes sont mortes pendant l'évasion des prisonniers. Au lendemain de ces attaques, la capitale haïtienne a été contrainte de déclarer l'état d'urgence et un couvre-feu pendant 72 heures pour limiter le chaos.
Faire régner la terreur...
Face à cette escalade, le Conseil de sécurité des Nations unies s'est réuni en urgence mercredi (6 mars). "La situation est critique", a déclaré après la réunion l'ambassadeur d'Equateur, José Javier De la Gasca Lopez Dominguez.
Jimmy Chérizier, chef de gang influent, a averti mardi dernier que si le Premier ministre Ariel Henry ne démissionnait pas et si la communauté internationale continuait de le soutenir, le pays se dirigerait "vers une guerre civile susceptible de dégénérer en génocide". "Haïti doit choisir entre devenir un paradis pour tous ou un enfer pour tous", a déclaré cet ancien policier de 46 ans, surnommé "Barbecue".
Dans un contexte d'état d'urgence et de couvre-feu nocturne, avec les administrations et les écoles fermées, de nombreux habitants tentent de fuir les violences avec le strict nécessaire.
L'exode s'accélère
L'escalade récente a contraint 15 000 personnes à quitter leur domicile à Port-au-Prince, selon l'ONU, qui a commencé à distribuer de la nourriture et des produits de première nécessité à ces déplacés.
Des membres des forces de l'ordre, lourdement armés, ont été déployés mercredi soir pour sécuriser les lieux stratégiques de Port-au-Prince.
"Nous n'avons pas d'autorités, pas de dirigeants, nous n'avons personne, nous n'avons rien", a déploré Linda Antoine, une commerçante de la ville. "C'est chacun pour soi".
L'Association des hôpitaux privés d'Haïti a lancé un appel à l'aide face à une "situation critique" caractérisée par "une pénurie sévère d'intrants médicaux essentiels, de carburant et d'oxygène", ainsi que par des attaques contre plusieurs établissements de santé et les risques encourus par le personnel médical.
Un Premier ministre sous pression
Les groupes armés entendent renverser le Premier ministre nommé par le président Jovenel Moïse juste avant son assassinat en 2021, alors que le pays est actuellement sans président ni parlement, et n'a pas organisé d'élections depuis 2016.
"Malgré de nombreuses réunions, aucun consensus n'a pu être trouvé entre le gouvernement et les divers acteurs de l'opposition, le secteur privé, la société civile et les organisations religieuses", a déploré le président du Guyana, Mohamed Irfaan Ali, qui assure la présidence tournante de la Communauté des Caraïbes (Caricom).
À Washington, la diplomatie américaine a exhorté Ariel Henry à "accélérer la transition" vers des "élections libres et équitables" tout en réclamant des "concessions dans l'intérêt du peuple haïtien". Toutefois, la Maison Blanche a précisé qu'elle ne poussait pas le Premier ministre à démissionner.
Ariel Henry, qui n'a pas pu retourner en Haïti, a atterri mardi soir à Porto Rico, en provenance du Kenya où il a tenté de mettre en place une force multinationale d'aide à la police déployée.
"Face à une situation plus qu'insoutenable, il n'y a pas d'alternative à cette mission", a souligné le Haut-Commissaire des Nations unies pour les droits de l'homme, Volker Türk.
Assistance humanitaire
En raison des violences, de la crise politique et de plusieurs années de sécheresse, 5,5 millions d'Haïtiens, soit près de la moitié de la population, ont besoin d'une assistance humanitaire. Cependant, l'appel aux dons de l'ONU pour 2024, s'élevant à 674 millions de dollars, n'a été financé qu'à hauteur de 2,5 %.
Bien que le Conseil de sécurité ait donné son accord en octobre pour l'envoi d'une mission multinationale dirigée par le Kenya, qui prévoit le déploiement de 1 000 policiers, son arrivée est retardée en raison de problèmes judiciaires au Kenya et d'un manque de financement.
Nairobi et Port-au-Prince ont signé un accord bilatéral vendredi dernier, mais aucune date n'a été fixée pour le déploiement de la mission.
Fin février, cinq autres pays ont exprimé leur intention de participer à cette mission dans un pays marqué par les enlèvements, les tireurs embusqués, et les violences sexuelles utilisées pour semer la terreur.
En janvier, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, avait exprimé sa consternation devant le "niveau stupéfiant" de la violence des gangs, les homicides ayant plus que doublé en 2023, avec près de 5 000 personnes tuées, dont 2 700 civils.